mardi 4 septembre 2012

Emile BAUMANN - Mémoires


Titre : MÉMOIRES
Auteur : Émile BAUMANN
Editeur : La Nouvelle Édition
Format : 12X17,5cm
Nombre de pages : 398 page
Parution : juillet 1943
Prix : Vieux livres
ISBN :
Un ouvrage jauni dans un rayon oublié d’une médiathèque. Vient à l’esprit à ce moment une polémique récente à propos de l’auteur et la menace de débaptiser la rue qui porte son nom. La curiosité l’emporte : qui était donc cet Émile Baumann, capable de déclencher une mini tornade soixante-dix ans après sa disparition ?
Dès les premières pages, le malaise. Un avant-propos où l’homme se justifie. Les mémoires ne présentent pas d’intérêt. Il ne voulait pas les écrire mais la situation l’oblige. La dédicace manuscrite éclaire : « Aux jeunes amis inconnus pour qui mon expérience ne sera peut-être pas stérile ». Quel est donc cet homme qui veut se donner en exemple ?
L’école jésuite qu’il fréquente lui transmet une foi de charbonnier, ainsi qu’une une haute idée de lui-même. Un sentiment qui ne l’abandonnera jamais tout au long de son existence. Certes, l’écrivain a du talent et cisèle ses textes, même dans ses notes, mais le verbe est acide, pour ses amis, « il m’était difficile d’approuver un enfantillage d’orgueil démenti par la vie même de Gasquet », comme pour ceux qui lui déplaisent. Ses premiers collègues enseignants à Roanne en font les frais, « le proviseur était un petit homme hargneux, coiffé d’un feutre mou, et rajustant d’un tic sénile un binocle à cordon noir sur un nez de clerc d’avoué chafouin et égrillard ». Le surveillant général ne trouve pas davantage grâce à ses yeux, il « faisait penser à un corbeau rengorgé sur sa branche, tenant en son bec un fromage ». Cinquante ans plus tard, lorsqu’il rédiges ses Mémoires, il reconnaît que les « portraits que je relis dans mes notes d’alors sont gravés d’un trait dur, avec une propension à l’outrance métaphorique ». L’aveu n’empêche guère l’auteur de regarder de haut ceux qu’ils croisent, d’un air de supériorité peu en phase avec la foi profonde qui l’anime. Et l’on est à peine surpris de le voir prendre position contre Dreyfus, comme de se rapprocher des milieux royalistes ou de clamer son admiration pour Léon Bloy.
L’intransigeance du jeune professeur élève autour de lui le mur de l’incompréhension. Là où il passe, Émile Baumann se lie d’une amitié entière avec un, voire deux collègues, méprise les autres, s’accroche à son Dieu et finit par déprimer. Après une longue interruption, liée à la maladie, il reprend pied en terre vendéenne où il subit une profonde métamorphose. Là, il ne trouve point d’interlocuteur digne d’intérêt, il se tourne alors pendant sept années vers de plus humbles, l’ouvrier agricole, son voisin le plus proche, ou le laboureur des Coux, si dur en affaires. Leurs histoires de sorcellerie l’intéressent, le touchent peut-être, mais la distance reste : « J’ai songé plus d’une fois à écrire la vie de Pierre Bouron en relatant ses plantureux propos. Mais j’aurais malaisément trouvé des lecteurs prêts à me suivre en compagnie d’un personnage aussi simple » car précise-t-il un peu plus loin : « le roman populiste me parait sottise, s’il s’attache aux gens du peuple, comme seuls intéressants. »
Dans la relative solitude vendéenne, Baumann a trouvé son chat dans la passion de l’écriture. Débute alors une carrière parallèle à celle du professeur, celle de l’écrivain qui publie en 1908 son premier ouvrage, L’immolé, en même temps qu’il en prépare un second : La Fosse aux lions
Le livre Mémoires s’étiole à l’arrivée de la première Guerre mondiale. À l’arrière, loin du front, Baumann piaffe de ne pas en savoir plus alors que plusieurs de ses amis disparaissent au combat. L’auteur se perd entre les regrets, les considérations, les explications dont il abreuve le lecteur. Là s’arrête la première partie de l’ouvrage.
La suite qu’il intitule Infortune et fortune d’une génération nous tire en une centaine de pages vers une autre guerre, celle des années quarante, où la France subit un revers cinglant face aux allemands conquérants. Temps de rencontres, de désolation aussi, agrémenté de curieux commentaires : « je songe surtout aux prisonniers qui reviendront affaiblis, amoindris et risqueront de n’engendrer que des enfants débiles » ou encore un peu plus loin « j’admirais comment le germe civilisateur de la France avait subjugué cet Africain, ce barbare ». L’exode vers la France libre l’amène à hégerger Léon Bloy. L’homme est fantasque, imprévisible, exigeant mais dans la ligne : « j’ai des ancêtres très décevants ». Dans la seconde phase de l’ouvrage, Émile Baumann s’éparpille, fournit un assemblage hétéroclite de textes dont on pourrait penser qu’ils ont été assemblés là par les héritiers puisque le livre est posthume. C’est dans cette partie qu’il délivre son message aux jeunes générations : « là où le père commande, qu’on lui obéisse, que la mère soit respectée, qu’on vénère les morts, qu’on révère les prêtres et qu’on adore Dieu. Il faut de la concorde et de l’estime entre les maîtres et ceux qui leur sont liés ». Et de citer ces maîtres, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne qui portaient les valeurs du national socialisme. On connait la suite. L’ouvrage parait en 1943 deux ans après sa mort. Il n’a pas connu la suite des années de guerre, la résistance et la collaboration, et l’on peut imaginer sans peine le parti qu’il aurait suivi.
En 2011, après la lecture de ces lignes, l’on en ressort estomaqué, le cœur au bord des lèvres. Et l’on tremble, à l’heure où les extrêmes de toutes sortes flambent, que l’ouvrage sorte de l’oubliette et ne contamine quelques esprits fragiles. Que l’oubli ait prévalu sur la postérité est réjouissant : l’humanité, lorsqu’on la laisse en paix, sait faire preuve de bon sens. Qu’on laisse donc sa rue à cet illuminé et qu’on n’aille surtout pas faire de bruit autour de son nom. Cela pourrait réveiller les vieux démons. Et que l’ouvrage dorme, au fin fond des réserves de médiathèques, du sommeil du juste que Baumann croyait être !

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