Titre : PASSAGES DE L’EST
Sous-titre : Carnets de voyages 1990-1991
Auteur : Danièle SALLENAVE
Éditeur : Gallimard
Format : 135X200mm
Nombre de pages : 332 pages
Prix : 100 F TTC
ISBN : 978 2 07 072829 3
La rencontre avec Danièle Sallenave tient à un hasard provoqué, une fois encore, par un article du Monde des Livres à propos de l’année France-Russie (27 janvier 2012, page 3). Participante de l’équipée à bord du Transsibérien, elle respectait l’engagement d’une production en publiant son ouvrage Sibir, Moscou-Vladivostok, mai-juin 2010. Commentaire du Monde : « Au gré d’un récit au jour le jour, la pensée et les digressions semblent passer d‘une époque à l’autre. » Derrière cette phrase, pour le lecteur, l’idée d’une méticulosité consciencieuse – « récit au jour le jour » – propre à satisfaire sa curiosité, encore ne fallait-il pas oublier « la pensée et les digressions ».
La lecture de « Passages de l’Est »corrige très
vite l’idée préconçue. Le « carnet
de voyage » annoncé apparaît davantage comme un journal de bord tant
s’imbriquent, parfois sans transition, descriptions de lieux, rencontres,
divagations littéraires (abondance de citations), les pensées de l’auteur sur
le voyage comme sur l’existence, aussi quelques états d’âme. Au départ
difficile de se faire à ce fouillis digne d’un sac de femme où l’on passe de
coq à l’âne. Déstabilisé, le lecteur déçu s’interroge sur ces notes reprises
après coup sans subir, semble-t-il, un nécessaire élagage. Mais comme il faut
voir le mur fini pour juger, il s’efforce d’avancer sans lâcher. Passé le cap
des deux cents pages, la terre grasse de Roumanie commence à donner sens à ce
qu’on vient d’ingurgiter et jusqu’à la fin de l’ouvrage, on roule sur du
solide, le puzzle est lisible. Un détour par New-York pour une « Petite phénoménologie du délabrement »
et l’ouvrage finit sur une chute phénoménale, « le 25 décembre 1991, ce jour où l’Union soviétique a cessé d’exister ».
Et Danièle Sallenave de poursuivre, ce jour « n’a pas été pour moi un jour de fête. »
Certes, dès les premières pages (p 29), le titre « Passages de l’Est » était
posé : « On ne nait pas
européen, on le devient. Ou plutôt, on naît européen et on ne le sait pas. »
Suit l’argumentation : « Pour que je sache ce que c’est d’être européen, il m’a fallu
voir la culture européenne mise en péril sur son propre sol, à l’Est. (…) c’est un esprit que j’élisais, non un sol. Telle
fut la leçon de l’Est. » Avant
l’estocade : « pour
penser le « monde
d’aujourd’hui », l’histoire ou l’Europe, nul ne peut se passer de ces
passages à l’Est, de ces passages de l’Est dans sa vie. C’est l’Est qui m’a tout appris. » Un
argumentaire qui éclaire à défaut de résoudre.
La suite n’est qu’un itinéraire de deux années de vie où les
voyages sont très présents, Prague (janvier 90), la Yougoslavie
(février-mars 1990), Roumanie (octobre 91), New York (1991), entrecoupés de
longues pauses parisiennes ou de vacance, alternances de passages à l’Ouest et
à l’Est, du présent comme du passé, matériaux nécessaire pour nourrir la pensée
et le texte qui l’a exprimée. Le fil de vie de l’auteure sur ces deux années se
déroule à la vitesse d’une perfusion, préparation soignée à l’emballage final
de la vérité de l’écrivain voyageur.
Sur les règles du voyageur, Danièle Sallenave ne voit
« qu’une seule forme de voyage
possible » et elle en cite deux « ou bien le passage rapide et la contemplation en mouvement ; ou
bien l’immobilité du corps et le défilement des vues. », façon subtile
d’accumuler le visible et la vie intérieure qu’il faudra associer dans
l’isolement du bureau à la « lumière »
(mot très prononcé) de « Chostakovitch » (appelé souvent en
renfort) au cours de « longues,
longues, heureuses journées de travail : l’occupation d’écriture, si
absorbante qu’elle soit, à la différence des autres occupations, ne donne
jamais l’impression que le temps file, s’échappe, passe trop vite, a
passé. »
Éloge du voyage, du vrai, pas de ce « quasi-monde, sans rapport avec nos peurs,
nos désirs, nos angoisses, nos joies », de ce « flux d’électrons » qui s’invite
dans nos cuisines au pied de nos fauteuils. « L’expérience vécue nous met en péril ; l’expérience des images
jamais. C’est le péril qu’il faut retrouver ». Aussitôt vient le mode
d’emploi « Alors il faut aller dans
les rues, regarder, marcher, parler avec ceux qu’on y rencontre » ,
puis les bienfaits à en attendre « tandis
que nous marchons, et que le paysage de la ville se déroule pour nous, les mots
viennent, la pensée se construit, et un silence se fait, où monte la voix
muette des choses. » Cette belle leçon, Danièle Sallenave l’a mise en
œuvre dans son ouvrage. Paris où elle réside est devenu étape au même rang que
New-York, écorché au passage, « pas
moins délabré que Moscou », New York sujet d’une « petite phénoménologie du délabrement ». Les livres, les paysages de vacances, les
saisons, la musique, apportent leur écot à la réflexion et c’est ce qu’elle
nous livre dans ces « carnets ».
Quant au long épilogue sur la fin de l’URSS, le 25 décembre
1991, chacun en pensera ce qu’il veut mais aucun ne pourra contester la solidité du
toit ainsi posé en final sur les fondations que sont les autres chapitres. Les
pierres des murs sont solides, si solides qu’une vingtaine d’années plus tard,
il n’y a pas grand-chose à jeter.
Voilà bien de quoi oublier les quelques moments d’ennui,
l’omniprésence de la « lumière »
cent fois déclinée et le sentiment d’un fouillis qui n’était à la réflexion que
l’accumulation en tas de matériaux à amalgamer pour en tirer une pensée de la solidité
d’un béton.
Toute réflexion faite, à la fin du livre, il me vient l’envie de lire Sibir, le dernier ouvrage de Danièle Sallenave, ne serait-ce que pour savoir, simple curiosité, où en est sa réflexion vingt années plus tard.
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