mercredi 31 octobre 2012

Jean-Bernard POUY - Liliane, fais les valises

Titre : LILIANE, FAIS LES VALISES
Auteur : Jean-bernard POUY
Editeur : Les Éditions de l’Atelier in8
Format : 10X16cm
Nombre de pages : 64 pages
Parution : 2011
Prix : 9,00€
ISBN : 978-2-916159-96-6





Reprise de contact avec un auteur, Jean-Bernard Pouy, annoncé dans la région et dont le nom évoque un ouvrage lu il y a quelques années. Il s’agissait d’une quête dans les environs du pont du Gard, le titre de l’ouvrage ayant été oublié. Pour les retrouvailles, un ouvrage récent et un titre qui déménage : Liliane, fais tes valises (Les Éditions de l’Atelier In 8). Et quelques notes discrètes sur la couverture qui pourraient annoncer du véridique : D’après une idée originale de Georges Marchais, Collection Quelqu’un m’a dit… Des indications qui susurrent le jeu de mots que l’auteur affecte tant qu’il va même jusqu’à en placer dans ses titres, Mes soixante huîtres, La petite écuyère a cafté et j’en passe. L’interrogation est vite levée dès le préambule sur ladite collection : « Au-delà du noir pesant, totalitaire ou kafkaïen, ces nouvelles sont volontiers surréalistes, parfois poétiques. Toujours décalées ». Avertissement au lecteur.
L’ouvrage est minuscule, tout juste cinquante pages. En deux temps et trois mouvements, le décor est posé, une chambre d’hôtel. La cause, un « colloque » et les héros par la même occasion, Vladimir Marchet et son épouse Liliane – toute ressemblance serait fortuite. Un colloque, comme il s’en déroule beaucoup, grand-messes qui ne comblent que les intervenants, ce qui leur permet de croire un peu à leurs travaux et en eux. D’un colloque à l’autre on tourne en rond, avec les mêmes personnages, les mêmes rites avant de s’en revenir chez soi ronronner un moment. Tout cela, Jean-Bernard Pouy n’en dit pas un mot mais le montre par les faits et la dérision dont il affuble les intervenants et les recherches qu’ils mènent : elles n’intéressent qu’eux-mêmes, créent le débat et n’aboutiront probablement qu’à des cacahuètes.
La nouvelle prend ,délibérément le ton d’une synthèse de colloque et renvoie à des délicieuses annexes qui enfoncent le clou si l’on avait quelques doutes. Qu’on en juge par le sujet de quelques interventions : « Un destin grêle : splendeur et misère du suppositoire dans la littérature du 19e siècle », un autre : « Les factures EDF et Pierre Boulez, du sérieux au sériel »… On nage en plein dans le délire oulipien dont raffole Pouy et l’on se régale. Quelque tête chercheuse qui (s’)y croirait encore, en tombant sur ces pages, pourrait tomber de haut d’autant plus que l’auteur leur fait, à la fin de l’ouvrage, un sort à sa façon en toute moralité quoique loufoque, encore que. Qui n’est pas chercheur, spécialiste ou sommité se délecte, s’esclaffe devant les galipettes du texte exquises comme les cadavres du même nom.
Jean-Bernard Pouy manie l’humour noir à la perfection, possède son sujet jusqu’au bout des ongles, trompe son monde par l’art de l’esquive et de la dissimulation. L’uppercut arrive à destination, bien appuyé et il fait mal, ne laisse aucune chance car il atteint le point faible de l’adversaire. C’est tout l’intérêt de l’écriture au second degré, de jouer ainsi le filigrane en masquant le dramatique sous l’humour ou la dérision. Dans les situations difficiles, dans quelques pays que chacun pourra nommer, lorsque la pensée unique est de mise et le reste muselé, la méthode « Pouy » porte des fruits et sert de combat. D’autres utilisent cet art détourné. Pour en prendre un exemple, pensons à l’énergie que dépensent les cinéastes iraniens actuels, pourtant couronnés par des prix, pour défier la censure pour juste créer.

mardi 30 octobre 2012

Les lisières d’Olivier ADAM

Envie de lire - Semaine 43

Ouvrage utilisé :

Titre : LES LISIÈRES
Auteur : Olivier ADAM
Éditeur : Flammarion
Nombre de pages : 454 pages
Parution : 18 août 2012
Format : 15X22cm
Prix : 21,00€
ISBN : 978-2-08128374-9






Source : Transfuge n°61 - Octobre 2012 - Le nez dans le texte, page 6, François Bégaudeau

Le cœur régulier, dernière note de lecture sur Olivier Adam, n’avait pas convaincu, manque de réalisme, d’empathie, avec une impression de déjà lu. Ce nouveau titre, recommandé par la critique, bien placé au niveau des ventes, écrit autrement, on pouvait penser à du neuf, bien que là encore, l’homme revisite sa vie. Dans le numéro d’octobre de Transfuge, sous le titre « La littérature des vide-greniers », François Bégaudeau démolit l’ouvrage, et par ricochet l’auteur, à l’endroit où cela fait le plus mal, au niveau de l’écriture. Avec cette question : « pourquoi, alors que 300 pages sur 450 sont consacrées à conter les années 80 et 90, ne pas avoir pris le parti d’une narration simultanée aux faits ? » Et le journaliste écrivain de s’irriter des « je me souviens », « je me souvenais » et « d’aussi loin que je me souvienne » qui remplissent le roman. Et ce n’est que la mise en bouche. Car François Bégaudeau cogne : «Sous la gangue rétrospective, Les lisières apparaitrait une coquille vide.» » Deuxième coup : « la rétrospection, elle pimente d’une sauce psychologique la plat réchauffé du fils d’ouvrier devenu écrivain. » Quelques lignes plus loin : « Adam tourne en élégie amère ce qui aurait pu être tourné en récit d’émancipation » avant de conclure en fin de paragraphe « la rétrospection est une introspection. » Et il en remet couche dans la finale « est-on si sûr que ces mots n’apparaissent jamais sous la plume des Pancol et Gavalda, dont l’écrivain Paul espère bien se distinguer ? » Le lecteur Montdésir, à l’enthousiasme légèrement refroidi par la dernière production d’Olivier Adam, nostalgique de Falaises, Poids léger, À l’abri de rien, va-t-il définitivement mettre au ban Les lisières, convaincu par la plume vitriolée de Bégaudeau. Que nenni ! Le lecteur lit les critiques mais se fie à la lecture, veut laisser parler l’œuvre et se faire sa propre opinion. D’où cette envie de lire. Rendez-vous est donc donné aux amateurs des Livres d’Ed. Que ceux qui ont déjà lu ce livre n’hésitent pas à laisser leur commentaire.

dimanche 28 octobre 2012

Marie NDIAYE - Mon cœur à l’étroit


Titre : MON CŒUR À L’ÉTROIT
Auteur : Marie NDIAYE
Editeur : Folio Gallimard
Format : 11X18cm
Nombre de pages : 380 pages
Parution : mars 2007
Prix :
ISBN :







« J’ai parfois l’impression, au début, qu’on me regarde de travers. Est-ce vraiment après moi qu’ils en ont ? » Dès la première page, le leurre est posé. Et le poisson lecteur appâté par la friandise qu’agite sous son nez la narratrice Nadia se prend à enfiler les pages car il veut savoir. Que peut-on reprocher à ce couple d’apparence parfait pour détourner le regard et exprimer une certaine gêne quand ce n’est pas de la haine ? Qui n’a pas remarqué une fois ces gens qui, du jour au lendemain, ne vous reconnaissent plus sans qu’on sache pourquoi ? Par mimétisme, le premier élan est de sympathie prudente envers cette victime qui ne comprend pas ce qui lui arrive. Le voile se soulève au compte-gouttes quand le passé s’invite, les personnages d’antan ressurgissent, s’invitent parfois et mettent en lumière une situation moins idyllique qu’elle n’y paraissait. Devant l’édifice d’une vie égotique qui s’effondre, la narratrice erre d’une berge à l’autre, voulant savoir la vérité en se bouchant les oreilles quand elle se présente. « Pourquoi ai-je si peur de ce que mon mari peut vouloir m’apprendre ? » Et l’on ne sait toujours pas. Pour faire patienter, Marie Ndiaye distille un trait de caractère par ci, « je n’aime pas me voir enseigner quoi que ce soit », abat plus loin une des cartes du château. Dans un ralenti maîtrisé, l’immeuble obsolète d’une vie se transforme en un tas de cailloux, le mépris du nanti fait place à l’imploration du naufragé. Aussitôt le point final, le premier sentiment tire vers l’insatisfaction devant ce plat qui a manqué de sel. Après l’excellent nectar des Trois femmes puissantes, cet ouvrage légèrement antérieur laisse au palais un léger goût de piquette. Sans doute fallait-il laisser à ce sucre lent le temps de faire son effet et de comprendre après coup le fin fond de cette histoire. Et l’on mesure toute la maîtrise de Marie NDiaye à pratiquer, dans une langue parfaitement conduite, un surplace énervant tout en tenant le lecteur en haleine, à conduire à petites touches l’intrigue vers une issue déroutante qui laisse pantois. Là où l’on voyait simplicité ou maladresse était le leurre d’une habileté démoniaque, prémices du Goncourt qui allait suivre. Léger regret pour le lecteur d’être passé au travers de quelques pépites, une seconde lecture s’imposera pour en extraire tout le suc de cet excellent ouvrage.

Marlène MANUEL - La femme au portrait


TTitre : LA FEMME AU PORTRAIT
Auteur : Marlène MANUEL
Editeur : Editions Past’Elles
Format : 14X20cm
Nombre de pages : 320 pages
Parution : 2010
Prix : 18,00€
ISBN : 978-2-916657-10-3
Récompense : 2e prix Concours littéraire international Arts et Lettres de France 2010







Petit bout de femme bourré d’énergie, Marlène Manuel partage son temps entre la région parisienne où elle réside et travaille et l’île de Noirmoutier, sa terre d’origine où elle revient, dès qu’elle le peut, pour laisser le vent marin faire valser ses jolies nattes blondes. Cette terre plate au ras de l’eau a été sa première source d’inspiration. Ses premiers romans, Le saunier de Noirmoutier, L’inconnu du Bois de la Chaise, La fleur de sel, sont directement écrits à l’encre de l’île. Et très vite remarqués par Les Veillées des Chaumières qui les publie en feuilleton dans son magazine. Dans ses derniers ouvrages, elle s’évade vers d’autres horizons, mais revient vers l’île en 2010 y planter tout un recueil de nouvelles, Un jour à Noirmoutier.
Après un court parcours dans l’édition classique, très tôt Marlène Manuel prend son destin en main et, tel un artisan, produit elle-même ses ouvrages, de A à Z, aux éditions Past’Elles qu’elle dirige avec un certain bonheur si l’on en croit les ouvrages épuisés. Mais elle va plus loin en publiant de jeunes auteurs de l’île. En soutenant activement aussi, chaque année au mois, d’août le sympathique salon littéraire de l’Épine, en Noirmoutier.
Ses ouvrages, écrits dans une langue abordable d’accès et joliment tournée, mènent le lecteur à bout de souffle à travers une intrigue souvent subtile, romans de terroir qui trouveraient, sans rien à redire, leur place parmi ceux de l’école de Brive autour de Christian Signol et ses amis. La femme au portrait est de cette veine, qui mène la jeune Lise, avec l’aide de son amie Caroline, à la recherche d’une mère qu’elle n’a jamais connue, lorsqu’elle en découvre le visage par le plus pur des hasards. Et cela malgré la vicomtesse Eugénie, sa grand-mère, qui ne l’entend pas de cette oreille, « malheureusement, ma pauvre enfant, qu’elle te manque ou pas ne changera rien aux circonstances ! Il vaudrait mieux que tu l’admettes une fois pour toutes ». Le ton est donné. Il en faudrait plus pour mettre un coup d’arrêt, la jeune enfant n’en est plus une et ne l’admet pas. En compagnie de son amie, elle entame sa quête et conduit le lecteur de surprise en surprise vers un dénouement plutôt inattendu. Si elle nous mène, en voiture, en train, de la ferme au château, Marlène Manuel ne s’embarrasse pas de descriptions ou d’états d’âme à n’en plus finir. Elle a pris le parti de l’action qu’elle mène au pas de course sans laisser le lecteur reprendre son souffle.
Certains puristes s’étonneront peut-être de la simplicité du style – du moins admettront-ils la bonne maitrise de la langue et le choix du mot juste – ou d’une certaine monotonie du ton, voire de la linéarité de la narration qui respecte à la lettre la chronologie des faits. Sans doute auraient-ils raison s’ils ne savaient pas – c’est précisé en quatrième de couverture – que l’ouvrage a été pré-publié en roman-feuilleton dans l’hebdomadaire Les Veillées des Chaumières. Les contraintes de la publication fractionnée sont proches de la nouvelle, nécessitent clarté, simplicité et action et, dans ce genre littéraire car c’en est un, c’est le contenu de l’intrigue qui prime. De ce côté-là, on est servi, ceci malgré une petite faiblesse, l’appel un peu trop fréquent à mon goût à la rencontre fortuite pour faire avancer le schmilblick : l’histoire en perd un peu de crédibilité, donc de sa force de frappe. Ce petit bémol excepté, l’ouvrage remplit très honorablement son contrat, il a sans doute comblé bon nombre de lecteurs des Veillées et bien d’autres depuis sa publication en roman. Un bon moment à passer.

jeudi 25 octobre 2012

Ville des anges de Christa WOLF

Envie de lire - Semaine 41

Ouvrage utilisé :

Titre : VILLE DES ANGES

Sous-titre : The overcoat of Dr Freud
Auteur : Christa WOLF
Traduction (de l’allemand) : Alain Lance et Renate Lance-Otterbein
Éditeur : Seuil, Paris
Collection : Cadre vert
Format : 15X22cm
Nombre de pages : 393 p
Publication : 2012
Prix : 22,00€
ISBN : 978-2-02104101-9





Source : Le Monde des Livres, vendredi 12 octobre 2012, Littérature Critiques, Pierre Deshusses page 8

Entrée très récente dans le monde de Christa Wolf avec Médée, personnage complexe de la mythologie et bien entendu, jusqu’ici inconnu. Début de lecture difficile, le lecteur ignorant se perd dans les arcanes des jeux de pouvoir des Colchidiens et des Corinthiens, sans très bien saisir qui est qui et qui fait quoi. Avant de prendre un réel plaisir à la lecture dès qu’on est Quelque peu familiarisé avec les protagonistes. Christa Wolf y exprime sa version des faits, faisant de Médée un personnage moins effrayant que ce que l’on en dit. S’identifie-t-elle à son personnage central, elle qui fut la cible d’attaques au moment de la chute du mur de Berlin ? Les regrets de Danièle Sallenave au moment de la chute du mur, ce jour « n’a pas été pour moi un jour de fête », « c’est un esprit que j’élisais, non un sol. Telle fut la leçon de l’Est » viennent en mémoire en découvrant dans le Monde des Livres l’itinéraire de Christa Wolf, la prise de distance avec son pays après la chute du mur, retrait de quelques mois en Californie en voyageant « avec le passeport d’un pays disparu ». Envie de connaître comment cette adepte « d’un socialisme à visage humain » a repensé dans sa retraite « cet engagement trahi et déçu » et « son rapport à la défunte RDA ». De nourrir d’un autre regard la vision personnelle du mur légèrement entamé déjà par Danièle Sallenave, dans Passages de l’Est, façon comme une autre de prendre le recul nécessaire sur cet évènement.

mercredi 24 octobre 2012

Métamorphoses de François VALLÉJO

Envie de lire - Semaine 42

Ouvrage utilisé :

Titre : MÉTAMORPHOSES
Auteur : François VALLÉJO
Éditeur : Viviane Hamy
Collection : Littérature française
Parution : 23 août 2012
Nombre de pages : 336 p
Prix : 21,00€
ISBN : 978-2-87858-574-2





Source : Le Monde des Livres, vendredi 19 octobre 2012, publicité pleine page, page 9

Une page entière de publicité dans le Monde des Livres du 19 octobre 2012, jamais vu auparavant ou jamais fait attention peut-être, l’éditrice Viviane Hamy a mis le paquet pour soutenir le poulain Valléjo. Pour son dernier ouvrage, Métamorphoses, sorti fin août, que des avis positifs, cela va de soi. De La Croix, « François Valléjo ne cesse de surprendre ses lecteurs » au Nouvel Observateur « Roman audacieux et percutant » qui « dresse le constat alarmant d’une société en proie à une crise morale sans précédent » en passant par Témoignage chrétien « Parce que la fiction, du moins la bonne, ne dépasse pas la réalié mais qu’elle l’annonce », Le Figaro Magazine « Un roman-choc », Les Dernières Nouvelles d’Alsace ou l’Humanité… Un livre oublié, semble-t-il, par Le Monde des Livres ou Télérama entre autres.
Pourquoi s’intéresser à une pub, qu’elle soit pleine page ou non. Parce que l’éditeur a parié sur ce livre, y croit et veut le faire savoir. Sur leur nom, les champions occupent beaucoup de place dans les médias littéraires, laissant la portion congrue aux auteurs moins connus qui livrent parfois de vraies pépites.
Mais aussi parce que cet auteur-là, François Valléjo, n’est pas inconnu : il est entré dans mon univers par une bombe, Ouest, prix du livre Inter 2007. Le parcours avec cet auteur n’a pas été un long fleuve tranquille, les autres titres ont déçu, même si Les sœurs Brelan ont quelque peu rattrapé le coup (voir la note de lecture de cet ouvrage pour en savoir plus). Raison de plus pour lire ces Métamorphoses en espérant retrouver le même enthousiasme qu'à la lecture d'Ouest.

François VALLEJO - Les sœurs Brelan


Titre : LES SŒURS BRELAN
Auteur : François VALLEJO
Editeur : Viviane Hamy
Format : 13X21cm
Nombre de pages : 288 pages
Parution : septembre 2010
Prix : 19,00€
ISBN : 978-2-87858-320-5







Les romans de François Vallejo voguent dans les marges, là où les espaces sont incertains et les temps indéfinissables. Entre poésie et réalité, l’horizon brumeux est étroit et le gouffre est proche, prêt à engloutir le lecteur vers l’incrédulité et le désintérêt. Cet univers choisi par l’écrivain lui réussit puisqu’il a récolté à chaque nouvel ouvrage en moyenne deux prix, pour la plupart inconnus, c’est dommage. La réussite est question d’atmosphère et quand la roue de l’histoire déjante, l’intérêt se met en manque. Il ne faudrait jamais commencer par le meilleur ouvrage d’un auteur. Ouest (Prix de livre inter) est de ceux-là. Le face à face pesant entre le garde-chasse Lambert et son nouveau propriétaire tient le lecteur en haleine. Un face à face où les mots restent dans la gorge parce qu’on en manque devant le châtelain insaisissable, au comportement mystérieux, dont on ne sait jusqu’où ira la folie de plus en plus évidente au fil des pages. Atmosphère étouffante d’un bout à l’autre et, de mémoire, un final en pirouette qui ramène au début. De la belle ouvrage d’autant que le temps n’est pas très loin d’une même réalité dans un logis des fins fonds emmuré encore dans une carapace du XIXe, siècle on l’aura compris. L’alchimiste Vallejo avait su combiner à la perfection l’air malsain, la terre et le sang pour bâtir un or à l’Ouest.
Après l’emballement, ce fut la déconvenue. Aucun souvenir marquant de Groom pourtant avalé jusqu’à la dernière miette, de L’incendie du Chiado éteint avant la fin, Le voyage des grands hommes abandonné au milieu du gué ou Madame Angeloso oubliée dans sa voiture. Nouvelle quête donc auprès des « sœurs Brelan » du plaisir éprouvé dans la lecture d’Ouest. Comme au poker, Les sœurs Brelan se comptent par trois, orphelines aux yeux gris et caractère bien trempé. D’un coup d’œil, elles se comprennent et se mettent à parler en même temps. Et elles arrivent à leurs fins, repoussent les tutelles, enfoncent les résistances, tracent leur chemin à l’écart. Vie fusionnelle entre Marthe la douce, Sabine la sage et Judith la rebelle. Si un moment la vie, l’amour, la maladie, les sépare, ce n’est jamais définitif, le noyau se reforme à moins que l’explosion finale...
Une fois de plus, l’histoire se débat à la marge. Le style indirect, sans vrai dialogue, opère moins bien que dans Ouest où il avait fait merveille. Parce que le jardin des filles Brelan n’a pas la taille du parc de Lambert et que leur maison, bien que vaste, n’est pas un château où l’on s’enferme pendant des jours pour y créer du louche. Tout se sait chez les Brelan, on les surveille et ça discute, ça se dispute et Judith la rebelle se plait à jouer les trouble-fêtes. Le ton un peu monocorde du récit – au demeurant fort bien écrit - éprouve quelques difficultés à se mettre en phase avec les soubresauts de la maison Brelan, fatras de langueurs et d’excitations de gamines mal grandies. L’ouvrage semble survoler à vitesse constante le champ de l’intrigue alors qu’on attendrait peut-être, ici une série de loopings à décoiffer, ailleurs le vol lent de planeur n’en finissant pas d’atterrir. Bref le piège de François Vallejo n’a pas réussi à se mettre en cage le lecteur pour qu’il se sente pris à la patte par l’histoire. Peut-être lui a-t-il manqué le grain de folie nécessaire pour que ce Brelan jeté sur la table remporte le tapis.

mardi 23 octobre 2012

Marie NDIAYE - Autoportrait en vert


Titre : AUTOPORTRAIT EN VERT
Auteur : Marie NDIAYE
Éditeur : Mercure de France (Collection Traits et Portraits)
Publication : janvier 2005
Format : 14X20,5cm
Nombre de pages : 100 Pages
Prix : 13,00€
ISBN : 978-2-7152-2481-8







Le temps qui précède une catastrophe attendue, qu’il dure quelques secondes ou quelques heures, est le moment du retour sur soi, du récapitulatif plus ou moins accéléré de ce qu’on a vécu. Marie Ndiaye se livre à cet exercice alors que la Garonne est en crue et franchit un à un les niveaux d’alerte. En guise d’autoportrait, elle s’efface devant des familiers dont elle trace finement les contours. Du contact de l’auteure avec son entourage, ce sera au lecteur de tirer les fils afin de tisser lui-même le portrait de la narratrice.
Sous la jolie couverture rose unie de la courte collection Traits et Portraits, sept titres en 2005, revient à la surface comme un clin d’œil  une autre couleur, le vert, qui caractérise les personnages qui se frottent ou se sont frottés à la vie de Marie Ndiaye. Sentiment longtemps enfoui, né de l’enfance, «  ses yeux sont d’un vert très clair comme ceux de l’ogresse de la maternelle lorsque j’étais enfant », surgi le temps d’une crue. Retour sur quelques années où des femmes en vert, bien réelles au départ, pour finir par être peintes en vert par l’auteur, ont apporté, chacune à leur façon, leur influence voire leur malfaisance sur le cours des choses, voire des hommes.
Parlons des hommes, plutôt pâles, sous influence, ils forment la pâte à modeler des ces femmes en vert, un petit tour et puis s’en vont. Le père de l’auteur à la recherche de sa jeunesse, multiplie les épouses successives et les enfants dont elle – « ayant secrètement espéré qu’il éprouve le regret, en la découvrant (ma fille) si aimable, de n’avoir élevé aucune de ses propres filles » – pour finir vidé de sa substance en compagnie de sa dernière femme, une femme verte qui fut en d’autres temps une amie de la narratrice.
Autre destin pour la mère, rasant les murs, effacée, qui disparaît avec les sœurs, pour réapparaître deux ans plus tard en vert, sous un masque de vert, pour réapparaître deux ans plus tard avec un faire-part de naissance à 48 ans.
Ainsi seront déclinées l’amie Cristina « elle est en short, élastique et moulant, imprimé de fleurs vertes sur fond vert. Un peu de ma jubilation se dérobe », Jenny la malchanceuse, consternée devant la femme d’Yvan, une femme en vert, « d’éprouver une sorte de mépris d’elle-même, de sa personne physique, de sa propre insignifiance » ou l’inconnue Katia Depetiteville, fascinante, « absolument femme en vert » qui « ne manifeste jamais la moindre gratitude pour un service rendu ». Jusqu’à la Garonne et son « eau boueuse » dont elle se demande si elle est une…, « est-elle une femme en vert ? »
Livre subtil, plein de délicatesse qui décrit une autre façon de dire, en creux, de sembler s’effacer tout en tirant les manettes. Une écriture qui annonce déjà par quelques phrases très travailler et cet art du portrait, le succès à venir des « Trois femmes puissantes », un très beau prix Goncourt.

lundi 22 octobre 2012

Michèle LESBRE - Un lac immense et blanc


Titre : UN LAC IMMENSE ET BLANC
Auteur : Michèle LESBRE
Editeur : Sabine Wespieser
Format : 14X18,3cm
Nombre de pages : 92 pages
Parution : avril 2011
Prix : 13,00€
ISBN : 978-2-85805-096-6







Sabine Wespieser affectionne les ouvrages courts et les écritures simplifiées à l’extrême. La première impression éprouvée à la lecture La Mer Noire de Kéthévane Davrichewy se confirme avec le lac immense et blanc de Michèle Lesbre. Quatre-vingt-dix pages en tout et pour tout d’une mise en page aérée et assez lumineuse pour la divagation d’une femme, sur une journée, autour du Jardin des Plantes et de la gare Austerlitz. Le lecteur est ainsi ballotté d’un point à un autre, suivant les méandres d’une narratrice au pas mal assuré dans une déambulation dont le fil rouge est blanc, comme la neige qui tombe depuis la nuit sur la ville. Le manteau blanc est souvenir, fait surgir « l’immense lac blanc » de l’Aubrac, Antoine le premier amour, le freux compagnon fidèle dans le parc, Ferrare sous la neige, ville du ressourcement qui conduit vers cet Italien, sur un quai de gare, pour un rendez-vous manqué. Un manteau blanc peut-être entrevu comme un espoir de quelque chose, mais qui agrège les souvenirs en un ensemble pas très consistant où plane plutôt l’absence, un bonheur passé mais révolu, recherché dans le crissement des pas. À moins que le Café Lunaire ne détienne la solution ou que tout s’efface avec la nuit.
Cette lente quête intime, dès le départ, semble vouée à l’échec, car on ne détecte pas bien ce qui la motive. Et la narratrice pas mieux que nous. Néanmoins on se laisse aller à la suivre d’une situation à l’autre parce que la lecture est agréable et la langue soignée, appuyée sur des références culturelles ou littéraires. En réalité, on n’attend guère de cette construction hétéroclite, une aventure personnelle sans grand relief qui fond comme une neige de printemps, une fois le livre refermé.

vendredi 19 octobre 2012

Dany LAFERRIÈRE : Tout bouge autour de moi

Titre : TOUT BOUGE AUTOUR DE MOI
Auteur : Dany LAFERRIÈRE
Editeur : Grasset
Format : 13X20,5cm
Nombre de pages : 192 pages
Parution : 2011
Prix : 15,00€
ISBN : 978-2-246-77737-1





En 2009, l’écrivain haïtien Dany Laferrière résident au Canada connaît la consécration (en France) en décrochant le prix Médicis pour son ouvrage L’énigme du retour, très beau livre nostalgique et poétique, retour d’exil sur les traces du passé, des origines, du père et des artistes de son pays. Une merveille, des fragments de vie en prose ou en vers, ouvrage rangé sans coup férir dans les incontournables de la bibliothèque personnelle.
Au Québec, l’homme n’est pas inconnu. Il s’est fait remarquer dès 1985 par un titre à décoiffer Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer ? Suivi de quelques autres tout aussi insolites, Le goût des jeunes filles, Cette grenade dans la main du jeune nègre est-elle une arme ou un fruit ? Ouvrages à lire à deux niveaux : sous couvert de désinvolture et derrière l’humour, se posent les questions existentielles de la négritude et du déracinement, bien difficiles à vivre dans l’exil. Car l’obsession de l’auteur est là-bas, dans le pays de sa jeunesse, où planent l’insouciance et le danger permanent, où l’apprentissage de la vie se fait dans la rue, par la fête, la Culture, poésie et musique qui résonne à tous les coins de rue. L’énigme du retour vient à point. Loin de l’inspiration, l’écrivain s’était un peu étiolé à la recherche d’un nouveau souffle porteur. Dans son ouvrage précédent, Je suis un écrivain japonais, il n’avait plus rien à dire, le temps et la distance avaient réduit le pays à l’état d’une outre sèche. L’idée du retour, l’énigme du retour, lui insuffle un nouveau souffle. L’homme se réveille, concrétise l’énigme en effectuant un vrai retour pour un salon littéraire à Haïti. C’est là, dans son hôtel, que le séisme le surprend le 12 janvier 2010 à « 16 h 53 », « j’ai pensé qu’une chaudière venait d’exploser. Tout cela a duré moins d’une minute. On a eu huit à dix secondes pour prendre une décision. Quitter l’endroit ou rester ». Miraculé, il prend des notes et relate le drame vécu de l’intérieur. Voilà que l’outre se remplit. Et qu’elle déborde. Ainsi plongé dans le malheur, l’écrivain retrouve ses marques à toute vitesse et devient le chantre, l’apôtre de l’île blessée, ce qui le conduit à la tête d’une escorte d’écrivains haïtiens aux Étonnants voyageurs de Saint-Malo. Début 2011, un an après le drame, l’écrivain publie sa version des faits dans Tout bouge autour de moi.
Le nouvel ouvrage est une succession de textes courts – 129 au total, une à deux pages en moyenne – tirés du petit calepin noir qui ne le quitte jamais en voyage et respectant l’ordre chronologique. Au-delà du désastre de la pierre, le changement est profond, irréel, hors des normes, « Le béton est tombé. La fleur a survécu », « pour une fois, dans cette ville, dans cette ville hérissée de barrières sociales, on circule tous à la même vitesse », « c’est là que j’ai compris que tout le monde était touché ». Tant bien que mal, la vie s’organise, le dénuement oblige à de nouvelles habitudes, l’on part à la recherche des proches dont on n’est sans nouvelles, les premiers corps et la vie qui reprend vie « Même le malheur ne parvient pas à ralentir l’incessante activité quotidienne dans ces régions pauvres du monde. »
Puis vient l’heure du choix, le cœur dit de rester avec ces gens et l’esprit souffle qu’on serait plus utile là-bas pour eux. Dix secondes pour prendre sa décision et dire à l’opinion occidentale que non, ce pays n’est pas maudit. « Qu’a-t-il fait de mal pour être maudit ? »
Retour trop rapide peut-être car l’écrivain revient à la première occasion, observe à nouveau, refait les mêmes parcours. Passé le premier choc, la réflexion s’allonge, les textes de l’écrivain aussi. La Culture renait, s’impose, il ne faut pas laisser le terrain à ceux qui vont vampiriser l’île et son malheur sans y mettre le pied. Déjà la télévision qui peut faire « fleurir une rose en dix secondes » a mis la manette en mode virtuel accéléré alors que « la vie d’un peuple se compte en siècles, parfois en millénaires » et qu’il faut bien trente ans avant que le moindre tressaillement se fasse sentir après un nouveau virage de société. Les artistes, les poètes se rencontrent et s’approprient le drame. Naissance d’un Art nouveau, d’un nouveau lien social, un investissement total de ceux qui comptent comme l’ami Marcus et sa petite radio, Mélodie FM. Et puis il y a dans les camps, la pluie, le « petit moment » pour le désir et l’amour, la lecture pour les enfants, et puis un jour, l’on revient là où la minute du 12 janvier vous a surpris. Et là tout est dit.
Présent de manière fortuite, « j’étais là », au moment du drame, Dany Laferrière a choisi de déblayer les décombres de son pays d’origine à sa façon, avec son stylo. À la manière des peintres ou des poètes locaux, il dresse dans ce livre un tableau pointilliste de la situation, une toile élaborée de l’intérieur, lentement, à petites touches, faits de vie minuscules, ignorés devant l’intensité du drame par un envoyé spécial pressé par sa direction. Le message envoyé par l’auteur n’a pas la noirceur de ce qu’on a pu voir sur les écrans. Dans l’île, on en a connu d’autres, les Duvalier, les cyclones, et toute la misère d’un pays hors normes un peu laissé à lui-même. Bien sûr, le pays mettra du temps à s’en relever car il existe ici un attachement viscéral à la vie et le pays en sortira grandi, plus mature. Dany Laferrière nous laisse un véritable message d’espoir bien différent de ce qu’on a pu entendre.

lundi 15 octobre 2012

Tao LIN – Richard Yates

Titre : RICHARD YATES
Auteur : Tao LIN
Traducteur (anglais) : Jean-Baptiste Flamin
Éditeur : Au diable vauvert
Publication : 5 janvier 2012
Dimensions : 13X20cm
Nombre de pages : 320 pages
Prix : 20,00€
ISBN : 978-2-84626-398-6





« Souvent hilarante, l’écriture de Tao Lin évoque les débuts de Douglas Coupland ou Bret Easton Ellis, … », citation du Guardian en 4ème de couverture. Que chacun en juge avec quelques phrases tirées au hasard de l’ouvrage, représentatives de l’atmosphère et du ton du roman.
« Quand tu seras là, tu la (ma mère) laisseras te voir ou tu partiras juste quand elle rentrera ?
– Je la laisserai me voir, a dit Haley Joel Osment.
– Et si elle appelle la police, a dit Dakota Fanning
– Ok. Je la laisserai pas me voir. Si tu lui avais dit qu’on avait pas couché ensemble à New York, je pourrais la laisser me voir. T’as foiré.
»
Quelques lignes plus bas, Haley Joel Osment reprend la main. « Putain. Ça ne veut plus rien dire ce que je dis. On est niqués. Mate la faute de frappe. Je me marre, a-t-il dit en référence au mot niqués qu’il avait écrit nqiésu. Juste après m’être marré, je me suis senti comme une grosse merde. » Dialogue de ce genre, répété à l’infini, soit en direct, par téléphone et surtout par chat sur Gmail. Car ces deux-là s’aiment, ont besoin d’un de l’autre et ne peuvent se quitter plus de quelques heures, et encore. Dans cette forme d’insipidité de premier abord, on attend un démarrage de quelque chose un brin d’histoire qu’on ne verra jamais venir jusqu’à ce que l’on comprenne que c’est ça l’histoire. L’histoire de jeunes d’aujourd’hui, familiers et accros de technologie pour communiquer entre eux et se dire ceci, de jeunes en vase clos coupés du reste ou presque, poissons rouges dans un bocal dont ils ne sortent guère. De leur environnement, ils n’ont rien à faire. À la société, sans joie aucune, ils donneront juste ce qu’il faut pour qu’elle leur rende ce qui leur faut pour vivre. Pour le superflu, ils subtilisent dans les boutiques, conscients du risque dont ils se fichent. À ce moment du récit, si l’abandon en cours n’a pas eu lieu, le lecteur tend vers la sévérité, sans complaisance avec ces jeunes tant il ne trouve pas de circonstances atténuantes à la médiocrité des échanges comme de l’écriture. Sauf que dans cette masse insignifiante commence à se réaliser quelque chose. Dakota Fanning ressemble à un vaisseau à la dérive, mal dans sa peau, fuyant par le mensonge, cherchant à cacher sa détresse dans la boulimie. « Elle a dit qu’elle avait menti en disant qu’elle n’avait vomi que quelques fois. Elle avait vomi presque tous les jours mais seulement une fois par jour ». Et que répond le garçon ? « Ça fait rien. Ne mens plus à partir de maintenant, c’est tout. » Il tolère, s’accroche, s’approche encore en veillant sur la jeune fille pour l’aider à s’en sortir, persévérant, compréhensif, passant outre son propre dégoût, le contraire d’un zappeur qui, lui, serait déjà passé à une autre. À l’écart d’une société dont ils ne semblent rien attendre, mais confiants dans la technologie que représente internet, ils cherchent à s’en sortir par leurs propres moyens. Pathétiques d’un certain point de vue, mais aussi admirables d’un autre angle. Génération de l’instant capable d’un effort dans le temps lorsqu’il le faut. Et si ce Tao Lin, « Kafka de la génération iPhone », « tout en humour à froid ironie et réalisme » (quatrième de couverture) nous ouvrait les yeux par ce biais sur « la solitude de cette génération hyper-connectée » !

mardi 9 octobre 2012

Maylis de KERANGAL : Naissance d’un pont

Titre : NAISSANCE D’UN PONT
Auteur : Maylis de KERANGAL
Editeur : Verticales
Format : 14X20,5cm
Nombre de pages : 320 pages
Parution : septembre 2010
Prix : 18,90€
ISBN : 978.2.07.013050.4





Les mégalomanes fourmillent et parsèment la planète de leurs œuvres, façon comme une autre pour eux de laisser une trace à la façon des architectes de l’empire grec ou des bâtisseurs de cathédrales. Elle aurait pu choisir un barrage démesuré ou un gratte-ciel défiant le firmament. Maylis de Kerangal s’est emparée d’un pont, un pont qui relie plutôt qu’un barrage qui noie, qui assèche, qui sépare, un pont imaginaire qui pourrait se trouver aussi bien à l’ouest qu’à l’est. Près d’une ville improbable au nom qui fait pschitt, Coca, « aujourd’hui encore, on comprend mal comment des hommes ont pu songer à s’établir en contrebas d’un causse rouge si salement cabossé ». Chacun d’entre nous a en tête un ouvrage comme celui-là, gonflé à l’orgueil et, sous cet exemple, peut s’approprier sans peine celui de l’auteure même si toute ressemblance avec un ouvrage existant …
La construction est une dissection en creux : bien mieux qu’un ouvrage qu’on décortique, se fera le rendu des techniques de mise en œuvre, des contraintes à surpasser, des écueils à éviter et la liste est loin d’être exhaustive. Au-delà des bétons, ferrailles et éléments d’architecture il y a les hommes. C’est à eux que Maylis de Kérangal s’attache et à travers eux elle fait ressortir le reste, l’histoire, les défis, les bouleversements sans aller jusqu’à dire ce que sera cet ouvrage fini, facilitateur d’existence ou simple élément de paysage. Dans le livre, les hommes bâtisseurs défilent, font un tour de piste pour dévoiler un bout d’existence, puis disparaissent pour réapparaître un peu plus loin. Parmi eux, Diderot le conducteur de travaux, baroudeur de l’extrême, pièce centrale autour duquel gravitent tous les autres comme des planètes autour d’un astre. Et il ya de tout, des aventuriers qui se tuent au boulot avant de se détruire l’intérieur dans les bars et les bordels : ils sortiront du chantier comme ils sont venus, à sec. D’autres plus méthodiques et sérieux : ils se réalisent ou amassent. Et puis ceux du pays, les « Indiens qui sortent du bois, se coulent dans les buissons sans même froisser les feuilles », funambules indispensables qu’il faudra d’abord amadouer, les modestes de la région trouvant là l’occasion rêvée de pousser plus loin leur propre vie, de sortir un moment de la galère quotidienne en s’abrutissant au travail. Et puis il y a les anonymes, « câbleurs, ferrailleurs, soudeurs, coffreurs, maçons, goudronneurs, grutiers, monteurs d’échafaudage, monteurs levageurs, enduiseurs, façadiers », ouvriers de la ruche qui grouillent dans les bus au moment de l’embauche. Parmi les hommes, quelques femmes, incongrues comme Summer la responsable béton qui occupe là son premier poste ou effacées à l’image de Katherine Thoreau, cinq bouches à nourrir, « pantalon de jogging flasque, trop grand pour elle… fard turquoise en couche copieuse sur des paupières enflées, mascara lourdingue… c’est carnaval ou quoi ? ». Sans compter les profiteurs de toutes sortes attirés en ville pour tirer leur part du gâteau.
À travers les hommes et les femmes qu’elle met en scène, Maylis de Kérangal construit son pont, aussi méthodique que Diderot, beaucoup de vie où elle glisse un peu de technique sans que cette dernière ne prenne jamais le dessus à rendre le livre indigeste. Un pont modèle auquel rien ne sera épargné. Un livre modèle alternant tension et détente, affrontement des hommes et de la matière, affrontement (conflit) des intérêts, résistance des éléments : tout y est rapide, violent, effaçable. De temps en temps, le texte s’emballe dans l’épopée, le verbe court d’un coureur de cent mètres, à grands tournoiements de métaphores, lignes succulentes faisant place quelques pages plus loin à de délicieux moments de tendresse, de rapprochement des corps, des cœurs, à défaut d’amour, ne jamais oublier qu’ici on vit dans l’éphémère. Au-delà de Coca et de sa banlieue, le pont imaginaire de Maylis de Kérangal renforce l’attachement de l’homme à sa langue : ce pont-là apporte une belle contribution à cet enjeu vital qu’est l’avenir de notre langue.

Maylis de KERANGAL : Dans les rapides

Titre : DANS LES RAPIDES
Auteur : Maylis de KERANGAL
Editeur : Naïve
Format : 14,5X18,5cm
Nombre de pages : 113 pages
Parution : janvier 2007
Prix : 12,00€
ISBN : 978.2.35021.086.5





Remonter vers la source alors que l’œuvre n’est encore qu’un mince filet, que l’auteur fait ses gammes et qu’il cherche à se frayer un chemin dans l’ombre des herbes folles, s’avère souvent très instructif. Le premier contact entre le lecteur et l’écrivain se fait rarement à ce moment, mais plutôt quand un ouvrage abouti apparaît sous les feux des projecteurs. Ainsi en est-il de Maylis de Kerangal apparue en pleine lumière à la sortie de Naissance d’un pont et mettant en avant son cheminement au cours d’une lecture publique « le premier livre n’a pas fait de moi un écrivain, c’est-à-dire c’est quelque chose qui s’établit livre après livre. De fait il y a une évolution, un cheminement… » Invitation forte à remonter le temps et découvrir l’écrivain en herbe par un ouvrage écrit en 2006, Dans les rapides, aux premiers contreforts de sa pente montante.
Trois filles de quinze ans, lycéennes au Havre en 1978, regard tourné vers ce qui vient de l’autre côté de l’eau vers l’Angleterre ou l’Amérique. Voilà qu’elles tombent dingues de Blondie, surtout de Debbie la chanteuse du groupe, qu’elles découvrent dans une R16 pistache qui les a prises en stop. Histoire à trois tissée entre le lycée, la maison, le café, les garçons, les fringues et… la musique qu’elles aspirent comme une éponge par tous les pores de la peau. La musique qui unit, puis divise parfois lorsque Kate Bush surgit dans leur champ avec sa voix irréelle. Comme l’amour qui fissure !
Une histoire de jeunesse donc, racontée au plus près, comme si elle avait été vécue, comme l’ont vécue les jeunes de ces années, portés par les musiques venues d’ailleurs comme signe d’une émancipation des jupes parentales à la recherche d’une visibilité. Une histoire collective propre à faire surgir sa propre identité, portée par les anglicismes et les rencontres. Une histoire qui sent le vrai, portée par le détail qui donne l’atmosphère. Livre d’écrivain en herbe encore vierge des défauts nécessaires qui font l’ouvrage grand public où les qualités d’écriture sont déjà là, amplifiées (était-ce toujours nécessaire ?) par un usage immodéré de la métaphore. Et déjà une prédisposition à la surenchère par l’utilisation des listes, et du vocabulaire avec ça, « clair de lune brouillé sur la lande cornouailleuse, passion avide où les corps bouches collées tourneboulent dans le vert des pelouses galloises, fumées berlinoises expressionnistes, rosée du matin sur les visages pâles des amoureux transis, fantômes de la mort, passions interdites, romantisme fébrile ». La musique évoque donc et surtout transporte dans un monde dont on sent bien l’extraordinaire, le verbe, toujours le verbe, « tenue en haleine par au seuil d’un cosmos poussé comme un champignon entre les pierres du rock, comme une herbe tonique surgie dans les interstices d’un béton qui se fendille » (p72). La description se fait dans l’action, ce qui semble donner un mouvement perpétuel au texte sous l’avalanche des mots : « Lise ne pouvait pas attendre, on la connaît, elle et son grand corps démangé par l’impatience qui est sa marque de fabrique, elle dont la carcasse carbure à l’air du temps, faisceau d’ondes matérielles qu’elle capte comme personne dont elle s’empare comme la pie du bijou, enfourne concrètement dans sa grande bouche vorace et convertit en vitamines adéquates pour perforer le futur comme une fusée, elle dont la plus cinglante vexation est de se trouver à côté de ce qui se passe, hors jeu, Lise, la voilà » (p18). Tout cela pour dire que voilà un ouvrage délicieux, proche de l’authentique, qui laisse à penser que la différence entre l’auteur et l’écrivain est assez ténue et réside dans la capacité à mettre de la distance entre soi et le texte, à le rendre universel. Parfois c’est mieux, mais pas toujours.

lundi 8 octobre 2012

Mes treize oncles, de Vladislav OTROCHENKO


Envie de lire - Semaine 40

Ouvrage utilisé :

Titre : MES TREIZE ONCLES
Auteur : Vladislav OTROCHENKO
Traduction : Anne-Marie Tatsis-Botton
Éditeur : Verdier
Parution : septembre 2012
Nombre de pages : 128 p
Prix : 13,50€





Source : Le Monde des Livres, vendredi 5 octobre 2012, page 4, article de Catherine Simon.

Pourquoi celui-ci ? D’abord, l’éditeur à la couverture jaune, Verdier, qui déçoit rarement dans ses choix éditoriaux. Souvenirs excellents de Pierre Michon, François Bon, Robert Ménasse et d’autres.  
Le foisonnement de la littérature sur le thème de la Russie, ensuite. Le Limonov d’Emmanuel Carrière, l’ermite Sylvain Tesson, les « vieux croyants » de Vassili  Peskov, le fantastique « Éloge des voyages insensés » et l’abondante littérature tirée de l’année France-Russie, loin de lasser, transmettent plutôt l’envie d’en savoir plus, en particulier sur ce « Transsibérien » mythique.
Et puis Dominique Fernandez, du haut de la margelle du puits de connaissances qu’il se complait à être, finit par instiller dans le cerveau du lecteur assidu et bourré de lacunes, l’idée de se prendre d’intérêt pour les grands écrivains russes.
Alors pourquoi pas une mise en bouche avec les « treize oncles » cosaques de Vladislav Otrochenko, d’après Catherine Simon, un « joyeux délire», une « saga loufoque », des « phrases pleines de rythme et feu », un « bouillonnant poème en prose » ancré dans la  « Russie impériale des années 1900.

Extrait tiré du site de l’éditeur : « Sans dire un mot, le cavalier attendit qu’Annouchka, qui resta longtemps à le regarder avec stupéfaction et perplexité, laisse enfin tomber le revolver qu’elle tenait inconsciemment pointé sur lui, et dans sa main ainsi libérée il plaça soigneusement une petite enveloppe scellée à la cire, fit faire demi-tour à son cheval qui caracolait impatiemment sous lui et, passant au galop les barrières du jardin – la première puis celle du fond –, il s’éloigna rapidement dans l’obscurité impénétrable, loin de la maison de Malakh. »

lundi 1 octobre 2012

Maylis de KERANGAL - Lecture publique : tangente vers l'est


Ouvrage utilisé :

Titre : TANGEANTE VERS L’EST
Auteur : Maylis de KERANGAL
Editeur : Verticales
Format : 11,5X17cm
Nombre de pages : 128 pages
Parution : janvier 2012
Prix : 11,50€
ISBN : 978.2.07.013674.2




À l’heure dite, et même bien passée, la file des participants commence à s’écouler dans la salle, investit les sièges, déborde en tous sens. Il faut faire de la place, serrer les chaises, réquisitionner tout ce qui peut porter une paire de fesses, jusqu’à la petite estrade qui devait mettre en valeur l’écrivain. Maylis de Kerangal, livre en main, figée, roule des yeux de biche apeurée. La soirée tranquille entre amis se transforme en show dont elle va être la vedette. Tendue, stressée, les lèvres blanches, recroquevillée dans sa robe chasuble bleue et ses collants noirs, elle se rapetisse de minute en minute, tant qu’on se demande si elle ne va pas s’effondrer. Pour le confort de la lecture, elle a tenté de rassembler son opulente chevelure avec ce qui ressemble à une aiguille à tricoter, mais une mèche rebelle se détache qu’elle essaiera en vain de faire entrer dans le rang. Et l’attente dure bien un quart d’heure.
Enfin l’animateur du jour souffle dans le micro, souhaite « bonne année » au public, avoue le tremblement, le stress qui l’empêche d’accéder à ses notes, puis présente l’invitée, cite Raphaëlle Rérolle du Monde des Livres « c’est une langue extraordinaire, puissante, saccadée, mariant les tons comme les personnages avec une grâce violente et charnelle ». La présentation se poursuit, originale. L’animateur retrace, la carrière d’éditrice, d’encyclopédies de voyages chez Gallimard, avant celle de l’écriture. Et l’invitée prend la parole au bond, se détend, oublie un peu de son stress, explique, s’anime. Quelques échanges de balles pour évoquer le chemin, lent, vers l’écrivain, l’importance du voyage, de sortir de soi, de chez soi, pour écrire, le voyage encore, en 2010, dans le cadre de l’année France-Russie, 6000 kilomètres de Transsibérien entre Novossibirsk et Vladivostok pour aboutir au livre qui sort aujourd’hui, Tangente vers l’est. Place à la lecture.
Décor dépouillé. Un mur blanc, un micro sur pied et la lectrice, son livre à la main, sans pupitre. Encore une légère hésitation, puis elle se lance. « Ceux-là vienne de Moscou et ne savent pas où ils vont… des gars, jeunes, blancs, pâles même, hâves et tondus, les bras veineux le regard qui piétine… la chaînette religieuse sur le poitrail », de sa main libre, Maylis de Kerangal accompagne d’un geste bref sa description, montre le « marcel kaki », la chaînette, le poitrail sans jamais lever la tête, ni interrompre sa lecture. Et elle lit vite, ton monocorde, regarde furtivement sa montre comme si le temps lui était compté. En une dizaine de pages, elle nous plante le portait complet du conscrit Aliocha et son envie de fuite comme une dernière chance.
Tangente vers l’est est la star de la soirée, l’unique objet de la lecture. Sous ce projecteur puissant, l’enjeu d’un tel exercice consiste à susciter la lecture, à donner envie, en dire assez sans en dire trop, retracer l’atmosphère de ce train pas comme les autres, évoquer ceux qui l’utilisent et le pays parcouru à travers les vitres et le comportement des autochtones voyageurs. Sans oublier le récit car le train est source d’histoires, de rencontres ou de ruptures. Dans le choix des textes, Maylis de Kerangal a réalisé un sans-fautes en trois extraits pour trois personnages et un embryon d’histoire, le reste se diluant dans l’ensemble. Il fallait tout et tout demandait trois quarts d’heure sans batifoler. Mission accomplie, aidée en cela par la qualité du texte, une alternance de phrases sèches et d’autres en poupées russes qui finissent par s’épuiser d’elles-mêmes comme un ricochet à bout de forces. L’on retrouve l’énergie et le dynamisme de la Naissance d’un pont, c’est presque sans surprise. À peine regrettera-t-on en fin de lecture une litanie facile sur la Russie vue de France, un survol trop haut pour présenter un réel intérêt. Invitation peut-être à privilégier à l’avenir la densité plutôt que la quantité.
Le public ne s’y est pas trompé et la salve d’applaudissements fut longue à se calmer lorsque l’invitée, à bout de souffle mais libérée, refermait le livre au bout d’une prestation de longue durée et de grande qualité. Dans un petit coin de la salle, le libraire du coin avait le sourire aux lèvres : ses livres se vendaient comme des petits pains.

Gérard MANSET - Visage d'un dieu inca


Titre : VISAGE D’UN DIEU INCA
Auteur : Gérard MANSET
Éditeur : Gallimard l’Arpenteur
Publication : 2011
Nombre de pages : 120 pages
Prix 12,00€
ISBN : 978-2-07-013401-4




Alain Bashung : un dieu inca  pour Gérard Manset, aussi inaccessible qu’un dieu puisque la première approche furtive se déroule en 1985 pendant les Francofolies, l’artiste en pose maquillage semblait somnoler. « Regardait-il entre ses cils, fixait-il, épiait-il ? » Puis rien d’autre ? Et pourtant, « on se retrouvait sur la page 7 d’un Rock &Folk, sur la page… ou bien le contraire (…) Quand je sortais Lumières, lui c’était Play Blessures ; moi dans Matrice, lui dans Rio Grande. » Certes ils ne pratiquaient pas les mêmes voyages, pourtant le « voyageur solitaire » Manset à la carrière atypique, allergique à toute promotion médiatique, en connaissait du monde, beaucoup de monde, dans le microcosme, partageant de longs dîners en tête à tête avec l’un ou l’autre.
La rencontre aura lieu sur le tard, au moment de Comme un Lego, une création de Gérard qu’ils interpréteront l’un et l’autre à quelques mois d’intervalle.  « Mais finalement nous nous étions retrouvés sur le dernier parcours, et c’était bien ainsi… rationnel, constructif. » Bien qu’il ne cède rien sur le talent, «  Qu’étions-nous l’un pour l’autre, jumeaux monozygotes de l’œuf unique d’une poésie inexprimable », Gérard Manset admirait son égal et sans doute plus « Il était mon cadet mais j’adoptais devant lui une attitude d’écoute, d’attente respectueuse. Il avait un « message » Cela ne me dérangeait pas. » Et de poursuivre aussitôt « Il était mon semblable, à la fois différent, déférent, et moi de la même manière très attentif à ne pas froisser quelque repli de son être ».
Et le Lego qui les rassemble est aussi une forme de compétition qui ne dit pas son nom entre celui qui cultive la « bizarrerie » à « s’enterrer, à voyager sans cesse, à s’acharner dans l’abstraction de productions » et l’autre dont le vrai moteur est « celui de la route, des premiers rangs, celui du fluide qui précédait la communions avec ce monpublic ». Le premier est carré dans le studio d’enregistrement quand l’autre tâtonne, jamais sûr de lui, se fait attendre, imprévisible. Et lorsque tombe Bleu Pétrole, c'est la révélation pour Manset. Lego : « Quelle immersion… un doux rouleau de bitume, ce roudoudou noirâtre luisant comme un réglisse, ruban hallucinant sur huit minutes ou plus… », Vénus « Je les ai vues et eues d’un coup, prises en pleine face, ces pommes et ces pêches d’or… », puis La Pianiste, « J’étais en sueur. Il m’avait convaincu, il l’avait eu lui-même, l’avait dompté, ce morceau, le maitrisant comme le signifiait le texte… ». Ce questionnement sur une phrase de Starck : « Allez, je te laisse, je préfère écouter le vrai… ». Le vrai ?  Un peu plus loin, l’expert qui « m’avait dit ceci : « Il aura le prix SACEM, ce serait bien que tu sois là… ».
En filigrane, la joute tranquille qui s’est jouée autour de Bleu Pétrole, ce Visage d’un dieu inca comme l’hommage qui a suivi, sont l’occasion pour le solitaire de faire un retour sur soi, au donneur de leçons pas toujours tendre  avec le milieu de s’interroger à demi-mot sur cette carrière menée à l’écart de monpublic, d’étaler en sourdine un demi regret pour, au moment de  l’emballage final, terminer son ouvrage sur ce propos en forme de doute « je me suis souvenu qu’Alain aussi m’avait proposé cela, de faire Lego avec lui, pour Pleyel, pour la réouverture de Pleyel. Il avait attendu. »
Il s’en est fallu de peu, pour que je passe une fois de plus, à côté de cet ouvrage profond, émouvant et fort bien écrit. Il faut préciser que « Les petites bottes vertes » (2007), ingurgitées en un autre temps, avaient laissé de marbre. Gérard Manset a ce défaut de parler au lecteur comme à une relation du microcosme, parfaitement au fait des arcanes du milieu, inévitablement du loin de son fauteuil le lecteur ne capte pas tout. À la longue, le mystère devient pesant lorsqu’un texte très travaillé comme sont les siens, nécessitant toute l’attention du lecteur, débouche sur une énigme dont on n’aura pas toujours la solution, «  comme celui-ci, au visage allongé, osseux, d’une calvitie rappelant Jean Marais dans le Bossu, l’ombre protubérante d’un acteur vénitien qui endossait l’habit de Casanova dans un film éponyme sorti en 1976. Visage crayeux poli comme un galet, un morceau de tronc racé, haut séquoia faisant figure de patriarche… mais jeune encore, cheveux en zigzag, œil clair ». En quatre années, l’écrivain Manset n’a pas changé, phrases ciselées, chronologie jetée au panier, plume acérée, digressions, confidences lâchées au fil de la conversation au proche qu’on n’est pas, vu que le dieu Manset est inapprochable. Il a fallu une deuxième lecture, émaillée de recherches documentaires, pour éprouver un réel et grand plaisir à la lecture de ce bel ouvrage car, Alain Bashung, me semble-t-il, ne pouvait recevoir de plus bel hommage que celui-là. Mais de grâce, monsieur Manset, descendez (de temps en temps) de votre piédestal !