lundi 25 février 2013

Sophie DIVRY - La cote 400

Notes de lecture

Au premier abord, La cote 400 pourrait évoquer au futur lecteur un de ces points de niveau disséminés sur les cartes d’état-major, et par conséquence les fabuleuses randonnées des dernières vacances, voire pour d’autres, les tranchées d’un autre temps moins serein. La cote 400 de Sophie Divry nous conduit plutôt vers un point bas puisqu’il s’agit du sous-sol d’une bibliothèque de province au moment de l’embauche.
La bibliothécaire découvre dans son rayon, celui de la géographie, un visiteur endormi qui vient de passer la nuit enfermé. Trop heureuse de trouver à qui parler, cette femme un peu désabusée, habituellement invisible et réduite au silence par sa fonction, déballe devant l’inconnu un sac de soixante pages d’une écriture bien serrée. Sans que l’étourdi ne puisse glisser la moindre phrase, il n’est pas en situation de force. Le voudrait-il qu’il ne le pourrait tant le verbe longtemps retenu de la geôlière est impétueux, si dense qu’il ne laissera aucun point de suspension, ni retour à la ligne.
Libéré au moment de l’ouverture des portes, le visiteur, comme le lecteur, saura tout du fonctionnement d’une médiathèque, en particulier le classement des ouvrages selon la « classification décimale de Dewey », légèrement modifiée depuis en classification universelle, laissant la fameuse cote 400 vide suite au déplacement des langues à la cote 800. Il faut bien que le visiteur comprenne car le voilà réquisitionné pour aider au classement en attendant l’ouverture.
Et le pauvre n’en a pas fini. Il aura droit, durant soixante pages d’un bavardage sans retenue, aux heurs et malheurs d’une bibliothécaire de l’ombre, à la lente mais inéluctable invasion par les médias parasites (CD, cassettes et Cdrom), à la boulimie des livres qui vampirisent l’espace et occupent « les places de devant, morceau par morceau. Le lecteur recule, trébuche, résiste… ». Dans ce combat entre le lecteur et le livre « le bibliothécaire est l’arbitre… Soit il se range lâchement du côté de la muraille des livres, soir courageusement il soutient le lecteur égaré. » Elle a choisi son camp, celui des lecteurs égarés comme ce jeune Martin qui la transcende et la retourne quand un jour, il lui adresse la parole de sa voix douce : « Excusez-moi, madame, mais est-ce qu’il serait possible d’avoir davantage de lumière ? »
Bref on l’a compris tout y passe, les collègues, les chefs, les lecteurs, les pontifes, les élus et la vie sentimentale de la dame en sus. La première qualité de ce livre réside dans la méthode, cette idée fameuse d’un huis-clos qui permet de tout dire car l’on sait que rien n’en sortira. La deuxième qualité de cet ouvrage tient au contenu, un balayage jamais lassant du monde discret des médiathèques, de leur évolution, de leur avenir, des risques de dérive comme de leur importance. Sophie Divry se livre ici à une analyse très fine qui tend, sous un air quelquefois narquois, à démontrer si besoin en était le rôle majeur joué par ce type d’établissement dans le développement de la culture dans le pays. Analyse vue de l’intérieur qu’il faudrait compléter par d’autres témoignages, de lecteurs, d’éditeurs, d’auteurs, de libraires…
Voilà un premier roman brillant à conseiller sans modération.



Titre : LA COTE 400
Auteur : Sophie DIVRY
Éditeur : Les Allusifs
Format : 12X20 cm
Nombre de pages : 65 pages
Prix 11,00€
ISBN : 978.2.923962.13.6






mardi 12 février 2013

Alain MABANCKOU – Black Bazar


Remarqué au moment de la publication du Sanglot de l’homme noir, Alain Mabanckou revient sur le devant de la scène au moment du Festival des Étonnants Voyageurs de Brazzaville en publiant un nouvel ouvrage Lumières de Pointe-Noire. Il est temps de passer à la case lecture. Dans les rayons, deux ou trois ouvrages disponibles, pas le Sanglot, ni Pointe-Noire. Au hasard, ce sera Black Bazar. Un homme noir d’origine congolaise, du petit Congo précision importante, raconte dans un langage imagé son infortune amoureuse « depuis que ma compagne s’est enfuie avec notre fille et L’Hybride, un type qui joue du tam-tam ». Il évoque aussi ses démêlés aussi avec un voisin irascible, monsieur Hippocrate, qui lui cherche des noises. Le narrateur, surnommé le Fessologue car spécialiste de la face B des femmes, travaille à mi-temps dans une imprimerie et tente pour le reste de taper son histoire sur une machine à écrire, dans l’intention de devenir écrivain.
Ce « je » est un homme affable, bien élevé, quoi qu’en dise le voisin. Il a des amis de bar, le « Jip’s, le bar afro-cubain, près de la fontaine des Halles, dans le Ier arrondissement », où il partage des Pelforth avec Paul du grand Congo, Roger le Franco-Ivoirien, Yves L’Ivoirien tout court, Pierrot le Blanc du petit Congo, Wladimir le Camerounais et quelques autres. Il n’aime pas les conflits et fait preuve d’une patience à toute épreuve en écoutant ses interlocuteurs pour la plupart bavards. L’ « Arabe du coin », qui habite au milieu de la rue, en fait partie. Celui-ci en profite largement pour s’épancher lorsque l’autre y vient faire ses courses. Ce microcosme rappelle un peu les chibanis du foyer de l’Espérance, chers à Abdelkader Djemaï, face à leur quartier en pleine transformation. Car là aussi, le quartier évolue, perd de sa substance depuis l’arrivée des Chinois et des Asiatiques
L’air de rien, Alain Mabanckou fait parler son petit monde grand producteur de mots devant sa consommation. Par la bouche de ses personnages, l’écrivain en dit beaucoup dans une langue volubile où l’humour affleure, « dans la France entière, y compris à Monaco et en Corse » répété comme un leitmotiv, où aussi la dérision n’est jamais très loin, où le respect des idées est toujours au rendez-vous. Façon très habile pour l’auteur de dresser un tableau haut en couleurs de ce monde d’immigrés, marqué par les traces du colonialisme où chacun a son opinion et ses solutions.
Le Fessologue narrateur écoute beaucoup, écrit énormément comme Louis-Philippe, l’écrivain haïtien, le lui a conseillé, s’exprime assez peu lui-même et encaisse bien souvent, à commencer par le lent désintérêt de Couleur d’origine, sa compagne. Bien qu’allant de déceptions en désillusions, il se reconstruit lentement aux côtés de son ami Louis-Philippe, se cultive dans l’écoute et la lecture et finit par décrocher de son propre fait une pépite qui va faire de lui un gagnant.
Volubile comme ses personnages, Alain Mabanckou dresse, sans jamais heurter, un large état de la situation des immigrés issus des anciennes colonies françaises, dans un langage très plaisant à lire, sans longueurs malgré l’abondance de verbe. Sans jamais le dire, il trace des pistes variées d’infiltration simultanée des cultures, comme autant de solutions aussi bien pour le pays d’accueil que celui d’origine. Des pistes qui sont comme autant de messages d’espoir pour l’avenir. La littérature, et plus généralement la culture, constituent l’une de ces pistes. Alain Mabanckou l’utilise avec talent comme le font, dans le même esprit, une kyrielle d’écrivains haïtiens. L’organisation du Festival des Écrivains Voyageurs à Brazzaville (13 au 17 février 2013) est dans la même lignée. Voilà un enjeu majeur car en même temps que l’avenir de ces pays marqués par le colonialisme se joue le devenir de la langue française.



Titre : BLACK BAZAR
Auteur : Alain Mabanckou
Éditeur : Seuil
Dimensions : 14X20,5cm
Pages : 250 pages
Parution : janvier 2009
Prix : 18,00€
ISBN : 978.2.02.097337.3






lundi 11 février 2013

Remonter la Marne de Jean-Paul KAUFFMANN

Envie de lire - Semaine 6
Envie satisfaite - Voir note de lecture
 

La courte rubrique littéraire du JDD, deux pages, trois livres dépouillés, sort en général de l’ordinaire et produit parfois de belles pépites comme le « sauvage blanc » de François Garde (Ce qu’il advint du sauvage blanc, Gallimard). Limiter la sélection hebdomadaire à trois ouvrages tient de la gageure devant le foisonnement de la production littéraire actuelle. Au JDD rien n’est impossible lorsque la rubrique s’appuie sur un certain Bernard Pivot.
Récidive ce 10 février 2013, l’hebdomadaire du dimanche dégaine avant les autres, trois jours avant sa parution, Remonter la Marne, le nouvel ouvrage d’un écrivain discret, plus connu pour ses trois années de détention au Liban, de mai 85 à mai 88, comme otage du Hezbollah, vous avez reconnu Jean-Paul Kauffmann.
L’enfermement de longue durée change les hommes. Lorsque pendant des années, il faut bâtir sa vie de rien, on acquiert d’étranges capacités qui font de vous une sorte d’extraterrestre si vous avez la chance d’en sortir. Comme la famille du général Oufkir(1) retenue vingt années dans les geôles marocaines et évadée avec une forte volonté de vivre. Ou encore Madeleine Cancicov retenue quinze années dans les cachots roumains sans papier ni crayon, qui imprima dans sa mémoire son étonnant Cachot des Marionnettes(2). Jean-Paul Kauffmann est fait de ce tonneau. Transformé par sa détention et la lecture d’une unique Bible, il a développé une sensibilité nouvelle et une disponibilité apte à capter le moindre parfum, le grain de poussière qui fait « revivre des lieux, des temps, des hommes oubliés du monde des vivants ». Et cela a donné L’arche des Kerguelen, « la solitude y est extrême, rompue seulement par des troupeaux de mouflons, des régiments de chats sauvages… », La chambre noire de Longwood, « Sainte-Hélène : la vie quotidienne dans l’étrange maison de Longwood au temps de Napoléon, la promiscuité, l’ennui, l’humidité, les rats », La maison du retour, « il fallait bien se poser quelque part. Je n’ai pas choisi la maison dans la forêt. Elle s’est proposée à moi, par défaut, à une époque confuse de mon existence », Courlande, « pays de nulle part… contrée des confins au bord de la Baltique… intacte avec ses ciels infinis, ses forêts, ses plages désertes… ses châteaux en ruine détenus naguère par des barons baltes, descendants des chevaliers Teutoniques ». Des livres lus, aimés, parfois relus, tous nichés précieusement à la lettre K de la bibliothèque personnelle. L’esprit en veille attendait le suivant avec impatience. On y arrive.
Et ce n’est pas une surprise. L’écrivain avait confié en 2011 au micro de Vincent Josse sur France Inter(3) son futur projet d’écriture sur la vallée de la Marne. Une rivière qu’il a remonté à pied, 525 km à la vitesse de 10km/jour, du confluent de Charenton jusqu’à la source du plateau de Langres et qu’il va nous livrer à sa façon, on s’en régale à l’avance. De ce cours discret dont on n’a guère en tête qu’une carte floue de la bataille du même nom, peut-être aussi pour certains les petits bals au bord de l’eau, on ne doute pas que l’écrivain a su tordre le lit du fleuve pour sortir du néant ces hommes croisés ici et là, les gens d’autrefois et les lieux oubliés et nous faire plus que le portrait d’une rivière. « C’est beaucoup plus. Le récit est composé d’hommes et de paysages. D’hommes façonnés par les paysages. C’est un chemin de passages, de patience. Un exercice spirituel. Il faut avancer pas à pas avec l’auteur. Vous verrez. On commence par la marche et on termine par la grâce. » Cette jolie conclusion de Marie-Laure Delorme du JDD résume non seulement le livre mais aussi la démarche de Jean-Paul Kauffmann. Des hommes comme celui-là, on en reprend toujours une petite goutte louche.

1- Bibliographie : LA PRISONNIÈRE, de Malika OUFKIR et Michèle FITOUSSI, Le Livre de Poche
2- Bibliographie : LE CACHOT DES MARIONNETTES, de Madeleine CANCICOV, Éditions Critérion
3- Il est encore possible d’écouter l’émission de Vincent Josse : l’atelier de Jean-Paul Kauffmann (28 juillet 2011) sur le site de FRANCE INTER


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Titre : REMONTER LA MARNE
Auteur : Jean-Paul KAUFFMANN
Éditeur : Fayard
Parution : 13 février 2013
Format : 13,7X21,5 cm
Pages : 264 pages
Prix : 19,50€
ISBN : 978.2.213.65471.3