vendredi 21 septembre 2012

Charles JULIET - Lumières d’automne (Journal VI 1993-1996)


Titre : LUMIÈRES D’AUTOMNE
Auteur : Charles JULIET
Editeur : P.O.L.
Format : 12X18,5cm
Nombre de pages : 276 pages
Parution : 2010
Prix : 14,90€
ISBN : 978-2-84682-370-8



Sauter des Ténèbres en terre froide (Journal I – 1957-1964) aux Lumières d’automne (Journal VI – 1993-1996), en esquivant d’un grand pas Traversée de nuit, Lueur après labour, Accueils et L’Autre faim, revient à découvrir deux écrivains. Trente années d’une vie sont passées par là. Le tempérament suicidaire creusant le plus profond du soi jusqu’à se faire mal sans rien voir d’autre, les phrases sèches comme des boulets de l’écrivain en devenir, accrochant dans la froideur des ténèbres quelques lignes tout au plus au journal du jour, s’est effacé pour laisser place à un homme apaisé, avide de connaissance et de relations, attentif à l’autre qu’il soit grand ou obscur, bibliophage jamais rassasié, accumulateur de vies pour enrichir la sienne et restituer le soi au lecteur.
Toujours des phrases sans détours ni graisse inutile, mais l’homme a désormais beaucoup à dire. Moins régulièrement (et encore !) car l’auteur est très occupé à répondre aux sollicitations de l’écrivain, lorsqu’il se met à son journal, il développe car sa capacité à s’intéresser, à tirer de la substance, s’en trouve agrandie et cela demande des mots.
Le titre du livre, Lumières d’automne, est déjà matière. Les saisons de l’année déclinées comme les saisons d’une vie. Le printemps balbutiant avant l’été éclatant étant révolus, vient donc l’automne aux jours moins vifs, moins brûlants, saison de la mesure, de la maturité, de la récolte et des couleurs extraordinaires du grand livre de la nature. Tout cela semble s’appliquer à l’écrivain aux aguets, prêt à tirer parti de tout ce qui peut nourrir l’homme, ou l’œuvre, à travers le journal.
Quelles sont donc ces « Lumières d’automne » qui éclairent ainsi Charles Juliet ?
D’abord les livres dont il est friand : il les traite avec le plus grand soin « le livre que j’ai mûrement choisi et dont je vais me repaître, je l’ouvre avec respect. Je sais qu’il a demandé à son auteur des mois, peut-être des années de travail. Il a pesé chaque mot, examiné et réexaminé chaque phrase - sa structure, son rythme, sa musicalité, son adéquation à ce qu’elle doit traduire » (p 87), des livres qui suscitent le creusement du soi et la mise à distance du moi « certains livres nous hissent très haut, d’autres nous plongent au fond du gouffre, là où il ne faut pas manquer de descendre. En nous faisant découvrir des régions de l’être humain et des aspects de la société que nous ignorions, ils nous poussent à nous ouvrir davantage, à devenir plus tolérants, à savoir mieux accepter ce qui diffère de nous.  » (p 87), les livres compagnons « ils sont là sur des rayons, à portée de main, et de temps à autre, j’en prends un et je lis deux ou trois pages » (p 85), des livres dont il tire des témoignages qu’il inscrit sur le cahier à l’exemple des « vérités » de Georges Walser « Sans gouffres, l’artiste n’est qu’une demi-portion d’artiste une plante de serre sans parfum », « Il n’y a d’important que le voyage à la rencontre de soi-même » (p 72) ou des « paroles » de Richard Bohringer « Je pense que la fin de ma vie ira de plus en plus vers les autres » (p 118).
Autres « lumières » encore que les rencontres : elles tiennent une place très importante dans les pages du journal. Des écrivains, des artistes, des musiciens dont il s’est lié d’une relation d’amitié l’enrichissent à chacune de leurs entrevues. Mais bien souvent, le devant de la scène est occupé par des anonymes. Venus à sa rencontre au hasard d’une séance de dédicaces ou d’une conférence, ils lui confient des fragments de leur vie et il relate leur histoire, admiratif, ému, devant ces sans-grade, héros non médaillés d’une vie sans tapage dont l’écrivain tire substance et exemple. Le journal se meuble de ces dires sans que l’on sache, c’est un regret, ce que lui, l’écrivain à qui on se confie, leur aura transmis en retour, comme si l’important n’était pas là. Charles Juliet serait-il un vase à sens unique ? Non cependant car les réponses sont à chercher ailleurs dans le livre, elles viennent en leur temps, giclent sous forme d’un poème bref, « Délabré / je suis descendu / dans le fatras / En moi / je suis remonté / vingt ans plus tard / émondé consentant / le regard clair » (p 108) ou d’une phrase « quand nos perceptions sont viciées, impossible de penser juste » (p 184), « refuser d’être soi-même, c’est encore être prisonnier du moi, de ses problèmes et complications » (p 157), « je cherche à prélever ce qu’il y a de durable dans l’éphémère de mes jours » (p 157), parfois aussi d’une longue réflexion, comme ce questionnement sur le moi développé sur plus d’une page (p 226).
Mais la lumière vient aussi de voyages loin de ses bases, Mexique, Japon, Bangkok… plus surprenant pour le non croyant d’une exploration spirituelle, un séjour d’écriture au monastère de Saorge, une participation aux « Rencontres sur la spiritualité d’aujourd’hui » à Cluny ou encore un entretien avec d’Éloi Leclerc, franciscain dont il cite un passage « J’en suis intimement convaincu, seuls les messages qui jaillissent d’une authentique expérience humaine disent quelque chose d’essentiel à l’homme. Seuls de tels messages peuvent remuer le monde. »
Mais le thème récurrent de Charles Juliet, celui qui le préoccupe au plus haut point, c’est celui de l’écriture, l’écriture juste « la difficulté que j’ai à écrire restreint ce que j’ai à exprimer », la matière à écrire « Écrire – une manière / de palper pétrir modeler / la substance interne », aussi le rapport avec le lecteur à propos d’un « éreintage en règle » de carnets de Saorge « écrire est un acte grave. J’écris donc avec toute la sincérité et l’honnêteté dont je suis capable. Le texte une fois publié, si on lui reconnaît des qualités, je n’ai pas à en tirer avantage. J’ai simplement écrit ce que j’étais contraint d’écrire. Dès lors, je n’ai pas à attendre des compliments. À l’inverse, si on estime que ce texte est dépourvu et que ce serait perdre son temps que de le lire, alors je n’ai rien à répondre. Il n’en demeure pas moins que j’ai la conscience tranquille de l’artisan qui n’a rien à se reprocher. Je ne peux ni faire mieux, ni faire autre chose. »
Enfin si l’auteur, c’est rare, sa lâche parfois sèchement « Il s’aime tant / qu’il est à lui-même / son propre soleil », le plus souvent son regard est bienveillant. Il reconnaît qu’il ne l’a pas toujours été « avant, mon regard coupait, creusait, fouillait. Maintenant, il caresse ». Comme à l’accoutumée, Charles Juliet parle juste, ses textes confirment et on le croit sans peine. Après le premier tome riche de son ombre glacée (Ténèbres en terre froide), voici une autre période de ce volumineux journal beaucoup plus avenante avec la même richesse et la déprime en moins. Dans la variété des textes, l’on prend même un vrai plaisir à lire, à trouver dans la démarche de l’écrivain peut-être un chemin pour soi-même. Une sorte de mode d’emploi de la recherche du soi. Un menu à la carte, il va de soi. Si l’on y est préparé on pourrait même se mettre au travail et creuser sa propre matière. Mais de la théorie à la pratique… ce sera peut-être une autre affaire car ne s’appelle pas Charles Juliet qui veut !

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