Titre : TÉNÈBRES EN TERRE FROIDE
Auteur : Charles JULIET
Editeur : P.O.L.
Format : 12X18,5cm
Nombre de pages : 390 pages
Première publication : mars 2000
Parution : février 2010
Prix : 10,00€
ISBN : 978-2-84662-455-2
Le titre annonce la couleur (ou plutôt le manque de couleur). Les premières pages confirment : Charles Juliet est le contraire d’un joyeux drille. Qu’on en juge : dans les quarante premières pages, le « suicide » apparaît comme une réponse et le mot est bien cité une dizaine de fois pour revenir régulièrement dans une bonne partie de l’ouvrage. Le sous-titre de la couverture précise : « Journal I – 1957-1964 ». On se rassure. Cinquante ans plus tard, l’écrivain n’est pas passé à l’acte (ou il s’est raté, ce qui est tout comme). Le fait d’en parler, de ressasser, est peut-être un excellent repoussoir.
Il faut être fou, ou du moins disposer d’une bonne dose de courage et
d’optimisme, pour au bout de quelques pages ne pas jeter l’ouvrage au
feu et s’enfuir à toutes jambes avant qu’il ne vous explose à la figure.
Et pourtant, une fois repoussé le premier mouvement, l’on se surprend à
trouver dans ce qui n’est qu’une longue suite de constats et
d’aphorismes, 400 pages tout de même centrées sur le soi et la condition
humaine, des éléments nouveaux, parfois intéressants, d’un décryptage
de ce qu’est la vie. Mais c’est sans un poil de graisse pour adoucir,
sans condition et assez lapidaire « on ne peut vivre que dans la
mesure où l’on sait se faire des illusions, s’inventer des buts et des
justifications, assigner à l’existence des fins qui permettent
d’échapper au vertige. Mais, pour celui qui a perdu le pouvoir de se
mentir, tout est néant » et aussitôt après « je vis
toujours comme en avant de moi-même. Quand je touche au but, je l’ai
déjà dépassé. Toujours insatisfait, tendu, mécontent, amer. »
Dans certains textes, l’écrivain se parle à la deuxième personne et s’en explique « pourquoi parfois, dans ces notes, le tu au lieu du je ? Parce qu’il convient à la mise en cause et l’accusation. »
Charles Juliet semble être un grand solitaire qui s’échappe rarement de
ce dur regard sur soi-même si ce n’est pour jeter sur les autres un
regard aussi acerbe et analytique. Néanmoins quand on a survécu à ses
lignes, il faut saluer la force des sentences et avouer qu’elles
interpellent, qu’elles ne sont pas jetées en l’air par dépit mais
qu’elles sont le fruit d’une longue contemplation et d’une réflexion
approfondie.
À mesure qu’on avance dans le magma des aphorismes, à peine ponctué de
rencontres, toujours de celles qui ramènent à soi, une interrogation se
fait sur ce type d’ouvrage, journal vieux de cinquante ans, publié en
2010. Notes du moment ? La chronologie et le phrasé porteraient à le
croire. Mais ces notes sont-elles intactes, publiées sans retrait ni
ajout ? Quelle que soit la réponse, l’auteur a validé ces lignes,
répétitives, à la limite de l’indigeste et d’une tristesse à jeter
l’éponge. Dans quel intérêt, sinon celui de la mémoire, envoyer à la
lecture ces notes sèches ? Ce que le lecteur voudrait savoir, c’est ce
que pense le Charles Juliet d’aujourd’hui de ses écrits. Au milieu de
gué, l’on n’en peut plus d’être gavé de ces litanies plus lancinantes
que vêpres en monastère. Ce ne sont pas les quelques digressions ici et
là, ni les éclairs jetés par une phrase qui vont calmer l’indigestion
qui menace.
Il faut attendre la page 185 pour entrevoir une petite lueur de changement, une estime de soi, un soupçon d’optimisme « alors
que je croyais écrire des phrases sourdes, heurtées, malaisées à lire,
je dois me rendre à cette évidence : j’écris dans une langue brève,
nette, claire, que parcourt une indéniable énergie ». L’état d’esprit s’améliore : « Je
crois revivre les plus beaux jours de mon adolescence. Pour la première
fois depuis des années, ce regard qui me harcèle, me persécute, il
daigne enfin se fermer, et je commence à exister, à me laisser envahir
par la vie ». L’homme s’ouvre aux autres : « Être
capable d’attention à autrui. C’est l’indice que les rumeurs internes se
sont tues, que l’être est dégagé de ses conflits, sa
souffrance…L’attention soutenue qu’on est susceptible de témoigner à
autrui, est un critère du dépassement de soi ». Tandis que l’écrivain se penche sur son art : « … un aphorisme, un seul vers, une seule phrase, peut contenir une plus grande charge énergétique qu’un volumineux ouvrage » ou encore « dorénavant
tu ne dois plus avoir de contact avec les grandes œuvres. Tu les
connais, tu les as interrogées, étudiées, approfondies, et tu sais
maintenant qu’elles ne peuvent t’aider en rien. (le seul pouvoir
qu’elles aient, c’est de t’entraver te gêner). Ta pensée ne doit plus
avoir comme objet que ce qui gît en son tréfonds et la tâche qui
t’incombe ». Et l’homme de culture égrène ses rencontres, des
artistes comme Maxime Descombin ou Bram Van Velde, peu d’écrivains et
des anonymes dont il avoue apprendre beaucoup : « nous
n’appréhendons un être qu’à travers ce que nous sommes, et
inconsciemment, nous nous projetons en lui, lui opposons ce que nous
trouvons en nous-même. Cette stupéfaction lorsque nous découvrons qu’il
n’est en rien ce que nous imaginons qu’il est ». L’ennui des
premières pages fait place à un intérêt grandissant. Même si le noir
apparaît par endroits mais il ne fait plus la loi, les notes prennent
de l’embonpoint, paradoxe avec les phrases sèches de la première partie
et le livre journal devient le livre d’une histoire, le roman d’une
vie, d’un cheminement dont le lecteur sort grandi. Et l’écrivain aussi
qui dans les dernières pages, ce qui pourrait être conclusion, semble
avoir trouvé sa voie, la voie de sa vie « cette jouissance
physique à trouver le mot, l’expression, la phrase qui reproduira assez
fidèlement ce que je pense, découvre, subis » et les autres aussi « aller à autrui pour apprendre, recevoir, s’enrichir, c’est tendre les mains… se résoudre à faire ce geste d’humilité ». Il est grand ce Charles.</p>
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