Titre : LE PROCÈS
Auteur : Franz KAFKA Editeur : Pocket 1983 Format : 10,5X18cm Nombre de pages : 284 pages Parution : 1983 1re publication : 1925 Prix : 4,60€ ISBN : 978.2.266.06893.8 |
Rien à vendre. Aucun engagement, ni contrainte. Simplement des notes de lecture des livres que j’aime un peu, beaucoup passionnément, à la folie, pas du tout. Après un silence de sept ans, quel hasard me ramène ce 12 octobre 2021 sur ce site délaissé depuis plusieurs années ? Bref, l'essentiel est d'y revenu avec en main un livre datant de sept ans, Les Violons du Marais, de Marie-France Thiery-Bertaud Bonne lecture !
samedi 29 septembre 2012
KAFKA - Le procès
mercredi 26 septembre 2012
Danièle SALLENAVE – Passages de l’Est
La rencontre avec Danièle Sallenave tient à un hasard provoqué, une fois encore, par un article du Monde des Livres à propos de l’année France-Russie (27 janvier 2012, page 3). Participante de l’équipée à bord du Transsibérien, elle respectait l’engagement d’une production en publiant son ouvrage Sibir, Moscou-Vladivostok, mai-juin 2010. Commentaire du Monde : « Au gré d’un récit au jour le jour, la pensée et les digressions semblent passer d‘une époque à l’autre. » Derrière cette phrase, pour le lecteur, l’idée d’une méticulosité consciencieuse – « récit au jour le jour » – propre à satisfaire sa curiosité, encore ne fallait-il pas oublier « la pensée et les digressions ».
mardi 25 septembre 2012
Charles JULIET - Ténèbres en terre froide (Journal I 1957-1964)
Titre : TÉNÈBRES EN TERRE FROIDE
Auteur : Charles JULIET
Editeur : P.O.L.
Format : 12X18,5cm
Nombre de pages : 390 pages
Première publication : mars 2000
Parution : février 2010
Prix : 10,00€
ISBN : 978-2-84662-455-2
Le titre annonce la couleur (ou plutôt le manque de couleur). Les premières pages confirment : Charles Juliet est le contraire d’un joyeux drille. Qu’on en juge : dans les quarante premières pages, le « suicide » apparaît comme une réponse et le mot est bien cité une dizaine de fois pour revenir régulièrement dans une bonne partie de l’ouvrage. Le sous-titre de la couverture précise : « Journal I – 1957-1964 ». On se rassure. Cinquante ans plus tard, l’écrivain n’est pas passé à l’acte (ou il s’est raté, ce qui est tout comme). Le fait d’en parler, de ressasser, est peut-être un excellent repoussoir.
vendredi 21 septembre 2012
Charles JULIET - Lumières d’automne (Journal VI 1993-1996)
Titre : LUMIÈRES D’AUTOMNE
Auteur : Charles JULIET Editeur : P.O.L. Format : 12X18,5cm Nombre de pages : 276 pages Parution : 2010 Prix : 14,90€ ISBN : 978-2-84682-370-8 |
Sauter des Ténèbres en terre froide (Journal I – 1957-1964) aux Lumières d’automne (Journal VI – 1993-1996), en esquivant d’un grand pas Traversée de nuit, Lueur après labour, Accueils et L’Autre faim,
revient à découvrir deux écrivains. Trente années d’une vie sont
passées par là. Le tempérament suicidaire creusant le plus profond du
soi jusqu’à se faire mal sans rien voir d’autre, les phrases sèches
comme des boulets de l’écrivain en devenir, accrochant dans la froideur
des ténèbres quelques lignes tout au plus au journal du jour, s’est
effacé pour laisser place à un homme apaisé, avide de connaissance et de
relations, attentif à l’autre qu’il soit grand ou obscur, bibliophage
jamais rassasié, accumulateur de vies pour enrichir la sienne et
restituer le soi au lecteur.
Toujours des phrases sans détours ni graisse inutile, mais l’homme a
désormais beaucoup à dire. Moins régulièrement (et encore !) car
l’auteur est très occupé à répondre aux sollicitations de l’écrivain,
lorsqu’il se met à son journal, il développe car sa capacité à
s’intéresser, à tirer de la substance, s’en trouve agrandie et cela
demande des mots.
Le titre du livre, Lumières d’automne, est déjà matière. Les
saisons de l’année déclinées comme les saisons d’une vie. Le printemps
balbutiant avant l’été éclatant étant révolus, vient donc l’automne aux
jours moins vifs, moins brûlants, saison de la mesure, de la maturité,
de la récolte et des couleurs extraordinaires du grand livre de la
nature. Tout cela semble s’appliquer à l’écrivain aux aguets, prêt à
tirer parti de tout ce qui peut nourrir l’homme, ou l’œuvre, à travers
le journal.
Quelles sont donc ces « Lumières d’automne » qui éclairent ainsi Charles Juliet ?
D’abord les livres dont il est friand : il les traite avec le plus grand soin « le
livre que j’ai mûrement choisi et dont je vais me repaître, je l’ouvre
avec respect. Je sais qu’il a demandé à son auteur des mois, peut-être
des années de travail. Il a pesé chaque mot, examiné et réexaminé chaque
phrase - sa structure, son rythme, sa musicalité, son adéquation à ce
qu’elle doit traduire » (p 87), des livres qui suscitent le creusement du soi et la mise à distance du moi « certains
livres nous hissent très haut, d’autres nous plongent au fond du
gouffre, là où il ne faut pas manquer de descendre. En nous faisant
découvrir des régions de l’être humain et des aspects de la société que
nous ignorions, ils nous poussent à nous ouvrir davantage, à devenir
plus tolérants, à savoir mieux accepter ce qui diffère de nous. » (p 87), les livres compagnons « ils sont là sur des rayons, à portée de main, et de temps à autre, j’en prends un et je lis deux ou trois pages » (p 85), des livres dont il tire des témoignages qu’il inscrit sur le cahier à l’exemple des « vérités » de Georges Walser « Sans gouffres, l’artiste n’est qu’une demi-portion d’artiste une plante de serre sans parfum », « Il n’y a d’important que le voyage à la rencontre de soi-même » (p 72) ou des « paroles » de Richard Bohringer « Je pense que la fin de ma vie ira de plus en plus vers les autres » (p 118).
Autres « lumières » encore que les rencontres : elles
tiennent une place très importante dans les pages du journal. Des
écrivains, des artistes, des musiciens dont il s’est lié d’une relation
d’amitié l’enrichissent à chacune de leurs entrevues. Mais bien
souvent, le devant de la scène est occupé par des anonymes. Venus à sa
rencontre au hasard d’une séance de dédicaces ou d’une conférence, ils
lui confient des fragments de leur vie et il relate leur histoire,
admiratif, ému, devant ces sans-grade, héros non médaillés d’une vie
sans tapage dont l’écrivain tire substance et exemple. Le journal se
meuble de ces dires sans que l’on sache, c’est un regret, ce que lui,
l’écrivain à qui on se confie, leur aura transmis en retour, comme si
l’important n’était pas là. Charles Juliet serait-il un vase à sens
unique ? Non cependant car les réponses sont à chercher ailleurs dans le
livre, elles viennent en leur temps, giclent sous forme d’un poème
bref, « Délabré / je suis descendu / dans le fatras / En moi /
je suis remonté / vingt ans plus tard / émondé consentant / le regard
clair » (p 108) ou d’une phrase « quand nos perceptions sont viciées, impossible de penser juste » (p 184), « refuser d’être soi-même, c’est encore être prisonnier du moi, de ses problèmes et complications » (p 157), « je cherche à prélever ce qu’il y a de durable dans l’éphémère de mes jours » (p 157), parfois aussi d’une longue réflexion, comme ce questionnement sur le moi développé sur plus d’une page (p 226).
Mais la lumière vient aussi de voyages loin de ses bases, Mexique,
Japon, Bangkok… plus surprenant pour le non croyant d’une exploration
spirituelle, un séjour d’écriture au monastère de Saorge, une
participation aux « Rencontres sur la spiritualité d’aujourd’hui » à Cluny ou encore un entretien avec d’Éloi Leclerc, franciscain dont il cite un passage « J’en
suis intimement convaincu, seuls les messages qui jaillissent d’une
authentique expérience humaine disent quelque chose d’essentiel à
l’homme. Seuls de tels messages peuvent remuer le monde. »
Mais le thème récurrent de Charles Juliet, celui qui le préoccupe au
plus haut point, c’est celui de l’écriture, l’écriture juste « la difficulté que j’ai à écrire restreint ce que j’ai à exprimer », la matière à écrire « Écrire – une manière / de palper pétrir modeler / la substance interne », aussi le rapport avec le lecteur à propos d’un « éreintage en règle » de carnets de Saorge « écrire
est un acte grave. J’écris donc avec toute la sincérité et l’honnêteté
dont je suis capable. Le texte une fois publié, si on lui reconnaît des
qualités, je n’ai pas à en tirer avantage. J’ai simplement écrit ce que
j’étais contraint d’écrire. Dès lors, je n’ai pas à attendre des
compliments. À l’inverse, si on estime que ce texte est dépourvu et que
ce serait perdre son temps que de le lire, alors je n’ai rien à
répondre. Il n’en demeure pas moins que j’ai la conscience tranquille de
l’artisan qui n’a rien à se reprocher. Je ne peux ni faire mieux, ni
faire autre chose. »
Enfin si l’auteur, c’est rare, sa lâche parfois sèchement « Il s’aime tant / qu’il est à lui-même / son propre soleil », le plus souvent son regard est bienveillant. Il reconnaît qu’il ne l’a pas toujours été « avant, mon regard coupait, creusait, fouillait. Maintenant, il caresse ».
Comme à l’accoutumée, Charles Juliet parle juste, ses textes confirment
et on le croit sans peine. Après le premier tome riche de son ombre
glacée (Ténèbres en terre froide), voici une autre période de ce
volumineux journal beaucoup plus avenante avec la même richesse et la
déprime en moins. Dans la variété des textes, l’on prend même un vrai
plaisir à lire, à trouver dans la démarche de l’écrivain peut-être un
chemin pour soi-même. Une sorte de mode d’emploi de la recherche du soi.
Un menu à la carte, il va de soi. Si l’on y est préparé on pourrait
même se mettre au travail et creuser sa propre matière. Mais de la
théorie à la pratique… ce sera peut-être une autre affaire car ne
s’appelle pas Charles Juliet qui veut !
mardi 18 septembre 2012
Dominique FERNANDEZ - Transsibérien
Titre : TRANSSIBÉRIEN
Auteur : Dominique FERNANDEZ Editeur : Grasset Format : 14X20,5cm Nombre de pages : 300 pages Parution : janvier 2012 Prix : 21,50€ ISBN : 978.2.246.78937.6 |
Intéressons-nous à l’auteur d’abord, Dominique Fernandez, un écrivain prolifique si l’on en juge par la longue bibliographie d’environ soixante-dix ouvrages. Écrivain d’un âge certain, le premier livre titre datant de 1958. Des années très fructueuses, en 2010, un pic de quatre ouvrages publiés qui reflètent assez bien les centres d’intérêt de notre homme : l’Italie (Villa Médicis), le Moyen-Orient (Palais Sursock) et la Russie (Avec Tolstoï, Russies). Écrivain éclectique alignant autant les romans que les essais, les chroniques de voyages, quelques traductions et même un opéra. Toujours en feuilletant l’ouvrage, l’on apprend que Dominique Fernandez est membre de l’Académie française, immortalisation récente le discours de réception ayant été publié en 2008. Un voyageur averti donc, déjà familier du pays d’accueil, l’auteur vient ici en spécialiste. Enfin clin d’œil, Transsibérien est dédié « A Danièle Sallenave en bouriate complicité », on en saura plus à la lecture : souvenir partagé d’un mariage arrangé « par les vieux croyants ».
Dominique Fernandez nous propose un voyage littéraire sur les traces des grands écrivains russes, livrant au lecteur de longs passages de livres qu’il aime, émaillant ainsi paysages, histoire, civilisation, art et coutumes. Il n’oublie pas le voyage, étiré dans le temps, où une sorte de monotonie du paysage pousse à retourner le doigt de gant vers l’intérieur et s’y retrouver soi-même. Il réussit de belle façon à transmettre l’émotion, le ressenti de cette solitude des vastes espaces. Envelopper une telle grandeur dans un texte n’est jamais garanti. D’autres s’y sont cassé les dents. De par son expérience et son talent, Fernandez a réussi l’examen.
Choix de textes tout aussi judicieux, parfaitement calés qu’ils sont dans l’ensemble. Le curieux de littérature russe, s’il veut aller plus loin, trouvera dans ce panel proposé de quoi satisfaire sa curiosité.
Les invités du Transsibérien n’étaient pas tous, au départ de Moscou, sur la même longueur d’ondes : le professionnel, légèrement blasé qu’il est, a joué au plus fin avec les autorités d’accueil pour imposer son propre programme, un menu à la carte (partagé avec quelques privilégiés) qu’il est fier d’exposer avec un pointe de dédain pour ses collègues moins chanceux. Du partage avec les autres voyageurs (si ce n’est l’épisode avec Danièle Sallenave) nous saurons peu. À privilégier l’extra, on oublie l’ordinaire car de la planète élevée du mirador les détails ne se voient pas. Entre les lignes du programme officiel, il y a sans doute à lire et cela fait aussi partie du voyage. Hormis ce léger manque de modestie du donneur de leçons, le plus grand défaut du livre, c’est un vrai satisfecit qu’on distribue à l’ouvrage, l’académicien justifie pleinement son rang.
Quelques mots enfin sur les deux encarts photographiques de grande qualité. Les illustrations de Ferrante Ferranti collent au texte. Il a su saisir les instants, donner vie aux monuments, capter les regards, mettre en boite ce train insaisissable, ce qui ajoute un réel plus à cet ouvrage finalement captivant, jamais rébarbatif, qui donne une vraie envie de découvrir. Il y a du talent dans tout cela et probablement une grande expérience.
Un autre point de vue sur cet ouvrage (et un commentaire) par Ivredelivres
lundi 17 septembre 2012
GUILLEVIC - Quotidiennes
Titre : QUOTIDIENNES
Auteur : GUILLEVIC Editeur : Gallimard Format : 14X20,5cm Nombre de pages : 168 pages Parution : mars 2002 Prix : 13,50€ ISBN : 978.2.07.076510.5 |
vendredi 7 septembre 2012
Mathias ENARD : L’alcool et la nostalgie
Titre : L’ALCOOL ET LA NOSTAGIE
Auteur : Mathias ÉNARD Editeur : Inculte Fiction Format : 16,5X20cm Nombre de pages : 96 pages Parution : février 2011 Prix : 13,90€ ISBN : 978-2-916940-48-9 |
Et voilà, comme dans Zone le train vecteur du souvenir et porteur de destin. Voilà encore les longues phrases qui se mettent à couler comme un torrent de pierre en pierre, chaque fragment venu du précédent et préparant le suivant. En pleine dérive, la cervelle imbibée généreusement d’alcool fort étale dans le désordre les pièces du puzzle : Jeanne et Mathias, Paris et Moscou, Mathias et Vladimir, la vodka et l’opium, la Russie de l’histoire et celle du présent. Une fois de plus, Mathias Énard déploie une belle panoplie de connaissances, fait revivre sous nos yeux la Sibérie goulag et le Moscou d’aujourd’hui, les « gigantesques blondes en fourrures, haut perchées sur des talons si fins qu’on croyait à chaque instant qu’ils allaient percer le macadam », s’égare un instant pour retomber sur ses quilles quelques lignes plus loin « la ville ne disait rien, elle ne se plaignait pas d’être ainsi criblée d’épingles comme une poupée vaudou ». L’allusion brève à l’histoire, l’usage habile de la métaphore donnent du corps au texte, du pur muscle sans mauvaise graisse pour l’empâter : le roman court à la vitesse de la nouvelle vers une chute qui ne pouvait mieux porter son nom.
Un extrait (page 66)
L’Oural est une montagne décevante, des collines en pente douce couvertes de mélèzes où des rivières ont creusé de larges vallées, dans quatre ou cinq heures nous serons à Ekaterinbourg, Ekaterinbourg comment s’appelait-elle à l’époque soviétique, cette ville du massacre et de l’indus¬trie lourde, interdite aux étrangers jusqu’en 1990, Vladimir nous y avait amenés, un des rares voyages que nous ayons fait tous les trois, peu de temps après mon arrivée à Moscou, une fois réglés mes interminables problèmes de visa que Volodia avait résolus en passant par une agence spéciale pour travailleurs immigrés qui corrompait les fonctionnaires de l’immigration à tour de bras, du coup il m’appelait le Tadjik, le Tadjik ou l’Ouzbek, à Ekaterinbourg il n’y avait rien à voir à part quelques vieux bâtiments constructivistes à demi ruinés et l’endroit où le tsar et sa famille avaient été passés par les armes, on y construisait une immense cathédrale, une immense cathédrale censée devenir un lieu de pèlerinage pour la Russie entière, exactement ce que les Soviétiques avaient cherché à éviter des années durant : on rendait aujourd’hui un culte aux Romanov sanctifiés et plus aux révolutionnai¬res qui les avaient descendus, après plus d’un an de captivité, le 17 juillet 1918.
Jean-Pascal DUBOST - Le défait
Titre : LE DÉFAIT
Auteur : Jean-Pascal DUBOST Editeur : Champ Vallon Format : 13X21cm Nombre de pages : 160 pages Parution : mars 2010 Prix : 15,00€ ISBN : 978.2.87673.529.3 |
L’ouvrage se construit en trois temps qui alternent avec une certaine régularité : le quotidien du solitaire, les souvenirs de l’enfance et les démêlés du « poète » avec son texte qui trébuche, butte car l’inspiration tarde à venir. Qui tarde tant qu’elle n’est peut-être même pas venue. L’écrivain s’escrime à tordre les phrases (il aime, a-t-il dit, jouer avec les mots), construire de savants mélimélos de mots, dresser les listes, utiliser des substantifs inusités, abuser par moments de signes graphiques comme ces virgules alignées en pluie, il manque juste un peu de poésie à tout cela. En l’on ne peut, à la lecture, se retenir de penser à cet aphorisme de Charles Juliet (Ténèbres en terre froide) : « trop de poètes, trop d’écrivains prennent les moyens pour le but. De sorte qu’à force de ne se préoccuper que du verbe, de la forme, ils en viennent à négliger, voire perdre de vue ce qui se situe à l’origine de l’aventure. » Beaucoup de travail de la forme donc dans ce livre, mais il manque la matière. Notons deux passages, l’un très court emprunté à la grand-mère « le temps te dure » (à tordre dans tous les sens) et un autre en fin d’ouvrage « il s’est enfermé dans le recet* de l’écriture, dans une solitude ; quel fut le moteur de sa quête silencieuse ? » Y aurait-il eu problème de moteur ?
Fondrie (Cheyne 2002) avait séduit, découverte du monde de l’usine, à la manière d’Albane Gellé, même émotion que le récent Croquis Démolition de Patricia Cottron-Daubigné. Fatrassier (Tarabuste 2007), bestiaire culinaire terminé en dictionnaire de mots inconnus, ressemblait à un sac à main de femme, un fourre-tout sans grande émotion. La pause qui a marqué l’écriture du livre Le défait était nécessaire pour laisser s’exprimer le silence en soi, pas certain qu’elle ait été suffisante pour que Jean-Pascal Dubost retrouve en lui le poète.
*recet : mot ancien (1430) synonyme de reces, recept, resoit… lieu où l’on se retire, retraite, refuge, abri, habitation ?
Philippe de la GENARDIÈRE - L'année de l'éclipse
Titre : L'ANNÉE DE L'ÉCLIPSE
Auteurs : Philippe de la GENARDIÈRE Editeur : Sabine Wespieser Format : 140X185 mm Nombre de pages : 490 pages Parution : 2008 Prix : 26,00F ISBN : 978-2-84085-065-2 |
L’Éclipse philosophique est l’ouvrage que le philosophe Basile tente de mener à bout, L’année de l’éclipse concerne la partie la plus intime du même philosophe, abandonné par les « deux furies » que sont sa femme et sa fille. Á cinquante ans, l’homme se sent fini, un homme du passé. En pleine déprime, il n’enseigne plus et suit une psychothérapie en se rendant chaque semaine chez le docteur Floch. Philippe de la Genardière prend tout son temps, environ cent cinquante pages, pour exposer la lente dégringolade et le quotidien du patient. Basile vit retiré du monde, sans autre contact que son psychiatre et passe ses journées à déambuler sur son balcon du sixième, en pérorant devant le vide. Éclipse totale en cours donc. Temps suspendu, seuls quelques effluves émanant de la salle de bains ou de la chambre d’enfant surnagent encore de l’ « avant ».
Á l’exemple du solitaire déprimé, le lecteur doit supporter de la part de l’auteur une sorte de déambulation littéraire, se perdre dans de longues phrases, avaler quelques répétitions, retours en arrière, suivre les méandres incertains de la pensée pour se préparer, impatient, à la métamorphose.
Une métamorphose provoquée par la rencontre, dans l’atmosphère propice aux déclics qu’est la serre du Jardin des Plantes, d’une jeune beauté, Shadi, qui réveille le philosophe de sa dormance et « réenchante sa vie » dans un « éblouissement érotique ». Réveil du corps (en fanfare) et des activités en sommeil ( à petits pas), la pratique du piano d’abord, la remise en chantier de l’Éclipse philosophique, l’ouvrage de toute une vie, ensuite… dans une sorte de jouissance partagée dont on découvrira peu à peu, derrière une fausse superficialité, les raisons profondes tirées de l’histoire personnelle de nos deux protagonistes. Aventure condamnée d’avance quand l’un pourrait être le père de l’autre.
Derrière le philosophe et son délire, il y a l’écrivain et cette question du sens Quid de l'aventure humaine en ce troisième millénaire? qui surgit, repart, revient, ressassée parfois, explore quelques pistes sans aboutir à une solution qui tienne debout, si ce n’est la « croyance » à laquelle le philosophe ne veut pas croire. Au-delà des dérives du philosophe dans l’impasse, que veut nous dire l’écrivain ? Basile est un homme seul, coupé du reste de l’humanité, très – uniquement - penché sur son monde intérieur, et ce solitaire n’a pas trouvé le salut. Est-ce à dire que l’avenir de l’homme du troisième millénaire est collectif ? C’est un autre débat.
Est-il utile encore de préciser que l’ouvrage de Philippe de la Genardière est de haute volée et qu’il représente une masse de travail phénoménale, même si l’auteur a dû prendre du plaisir à l’écrire. Cette réflexion menée sur le sens de l’existence humaine nous concerne et chacun peut y trouver matière à y nourrir sa propre personnalité. Et ce n’est pas là la moindre des qualités. Si l’on ajoute la qualité de l’écriture, originale, articulée sur l’imparfait de l’indicatif - faut-il y voir un lien avec le sujet du livre ? – et la longueur de certaines phrases, chaotiques comme un sentier pierreux de montagne, chaotiques comme la pensée du philosophe, on ne peut être qu’admiratif.
Rendons aussi homme à l’éditrice – Sabine Wespieser – pour son courage littéraire, il est réconfortant qu’un livre comme celui-ci ait encore sa place dans le monde très sonnant et trébuchant de la littérature d’aujourd’hui. Saluons de même l’excellente présentation de l’ouvrage sur la quatrième de couverture, un très beau texte qui résume parfaitement le livre et donne vraiment envie de le lire. Ce fut ma porte d’entrée vers cet écrivain qui m’était totalement inconnu.
Pour compléter
mercredi 5 septembre 2012
Louis-Philippe DALEMBERT et Lyonel TROUILLOT - Haïti une traversée littéraire
Titre : HAÏTI UNE TRAVERSÉE LITTÉRAIRE
Auteurs : Louis-Philippe DALEMBERT et Lyonel TROUILLOT Editeur : Presses nationales d’Haïti, Culturesfrance et Éditions Philippe Rey Format : 14X20,5cm Nombre de pages : 176 pages Parution : 2010 Prix : 19,00F ISBN : 978-2-84876-153-4 Ouvrage vendu au profit d’ONG haïtiennes |
On se souvient peut-être des musiciens cubains de Bueno Vista Social Club restés au pays et tirés de l’anonymat par WimWenders en 1999 pour un succès planétaire, après une vie de misère à cirer des chaussures ou guère mieux. C’est un peu la même aventure qui se vit aujourd’hui à Haïti, l’île de la débrouille où tout se fait à partir de rien, sinon courage et fierté. Quelles belles choses on peut faire avec rien. Il faut une bonne dose de caractère pour supporter les coups de tabac de toutes sortes, tontons macoutes, cyclones, tempêtes tropicales, tremblements de terre qui déferlent sur le pays et le mettent à sac. Certains partent comme Louis-Philippe Dalembert, mais d’autres comme Lyonel Trouillot choisissent envers et contre tout de rester, de travailler de l’intérieur, dans ce pays qui n’en finit pas de se relever.
Que ce soit dedans ou dehors, cette bande d’écrivains (le mot n’est pas trop fort car leur vie est vouée à la littérature et aux arts) écrit de la poésie, loin d’être considérée ici comme un genre mineur, « Étranger qui marches dans ma ville/souviens-toi que la terre que tu foules/est terre du Poète/et la plus noble et la plus belle/puisqu’avant tout c’est ma terre natale… », mais aussi des romans ou du théâtre qu’ils publient à compte d’auteur en investissent dans les étagères, « en Haïti, si tu veux être écrivain, commence par construire des étagères… pour stocker les invendus », dit René Philoctète, le poète. Bien que le manque d’éditeurs soit flagrant, l’écrivain haïtien ne transige pas devant son texte et tient avant tout à sa liberté. En 1970, le même Philoctète remarqué par un grand éditeur français refuse d’apporter des modifications à son texte, quitte à le publier « bien des années plus tard, en Haïti à compte d’auteur ». Et des œuvres à compte d’auteur, il n’en manque pas, signées par Carl Brossard, Frankétienne, Yanick Jean, Roger Dorsinville, Clément Magloire-Saint-Aude, liste non exhaustive.
Le violent séisme du 12 janvier 2010 n’a pas, loin de là, asséché la fièvre créatrice : dès le lendemain de la catastrophe, les peintres se mettaient au travail et exposaient devant les ruines de leur atelier. Les écrivains, aussi, se sont mobilisés pour aider à leur façon le pays à se relever. Telle est l’intention de ce livre CD, Haïti, une traversée littéraire, vendu au profit d’ONG haïtiennes et édité conjointement par les Presses nationales d’Haïti, Culturesfrance éditions et Philippe Rey, montrer par un large balayage la grande diversité et l’extraordinaire richesse littéraire de ce pays peu épargné par l’histoire et les éléments. Quand tout est par terre, il te reste la culture. Par son immatérialité, elle survit aux épreuves, esquive les dictateurs, dépasse les frontières et relève l’espérance quand elle pourrait flancher.
La première partie de l’ouvrage, abondamment illustrée de textes et clichés d’auteurs, dresse l’état des lieux de la littérature haïtienne sous forme de questions (courtes), réponses (développées en quelques pages).
Née peu après la déclaration d’indépendance de 1804, cette littérature fait largement référence à l’Histoire politique et sociale du pays et les sujets ne manquent pas, qu’on en juge : « la longue et sanglante lutte pour l’indépendance », « l’occupation américaine et la résistance des maquisards paysans, les « Cacos » », « le génocide d’environ vingt mille travailleurs haïtiens en 1937 », « la dictature des Duvalier père et fils, de 1957 à 1986 », l’épisode Jean-Bertrand Aristide…
Outre l’importance des revues, cercles et mouvements, du compte d’auteur et de la poésie, déjà évoqués plus haut, les deux auteurs s’attardent sur la place des femmes longtemps éclipsée par les maternités et les tâches ménagères. Après quelques pionnières, les choses bougent dans la deuxième moitié du XXe siècle et la femme, mère aimante ou amante initiatrice, « poteau-mitan » de la société haïtienne, s’immisce désormais dans le champ littéraire de l’île. Si la parité est loin d’être au rendez-vous, « les choses ont changé depuis les premiers combats féministes d’Ida Faubert, de Cléante Desgraves Valcin et d’Annie Desroy… »
Dualité des langues aussi quand l’histoire héritée s’écrit en français alors que le créole est parlé. Après le français académique, puis une phase en créole, la littérature haïtienne a trouvé sa voie en s’affichant bilingue car « l’ennui serait qu’on veuille qu’il n’y ait qu’une langue, qu’elle serve à asseoir le pouvoir d’une catégorie sociale sur une autre, qu’elle devienne une langue d’exclusion ». Sous les mots pointe une grande sagesse qu’on aimerait bien trouver ailleurs. Une sagesse retrouvée dans la façon dont la littérature de l’île a résolu le problème dedans/dehors par l’intégration de la diaspora dans sa propre littérature. Analyse du champ littéraire complète donc, agréable à lire de surcroit, par nos deux auteurs de l’ouvrage.
La deuxième partie du livre s’ouvre sur une anthologie nécessairement réduite mais délicieuse et nécessaire car elle traduit dans les mots ce qui est écrit plus haut.
Voici un ouvrage de référence qui donne d’Haïti, une image bien différente de celle du « pays maudit » auxquels certains esprits expéditifs (et sans doute mal informés) voudraient nous faire croire. De coup de tabac en coup du sort, Haïti, premier pays indépendant à majorité noire s’est forgée en deux siècles une âme forte, à défaut d’une économie solide, mais pourrait bien donner à d’autres une leçon en français si par hasard un coup de grisou économique devait un jour emporter quelques démocraties donneuses de leçon.
Dominique DYENS : Intuitions
Titre : INTUITIONS
Auteur : Dominique DYENS Editeur : Héloïse d’Ormesson Format : 14X20,5cm Nombre de pages : 186 pages Parution : 31 mars 2011 Prix : 17,00€ ISBN : 978-2-350-87162-2 |
RdL, La revue des Livres
Nom du magazine : RdL
Sous-titre : La Revue des Livres Numéro : 04 Périodicité : bimestriel Format : 235X300mm Nombre de pages : 80 pages Parution : mars-avril 2012 Prix : 5,90€ |
En tête du sommaire, un « Entretien avec Stathis Kouvélakis sur une crise sans précédent ». Le titre : Grèce : destruction programmée d’un pays. Un regard tout à fait neuf, loin de tout ce qu’on a pu entendre sur ce pays en crise. Où l’on découvre de l’intérieur un peuple que l’on maintient la tête sous l’eau et qui ne pourra pas s’en sortir. Dès le premier article, le ton est donné.
Et la suite est de la même veine : longs articles, techniques mais accessibles, rédigés en solo ou en duo sur des sujets de société hors des clichés et des sentiers battus. Quelques titres : « Quand les socialistes libéraient la finance », « Pour une écologie des lignes », « Et mes seins tu les aimes », « La singularité de Kafka »… Les livres sont très présents car ils servent de prétexte à l’écriture et au développement des idées. Certains ouvrages nous viennent de l’étranger, comme Capitals Rules (Rawi Abdelal) ou The perception of the Environment (Tim Ingold), la plupart sont de langue française Beauté fatale (Mona Chollet), Kafka en colère (Pascale Casanova) ou ont été traduits Une brève histoire des lignes (Tom Ingold), Imaginaire des Balkans (Maria Tedorova). Parfois c’est l’œuvre entière qui est sujet à réflexion. Les rédacteurs ne se contentent pas d’un compte-rendu impersonnel des livres, ils mettent leur talent à donner à rendre lisibles les ouvrages support et souvent y mêlent aussi leur propre réflexion. Chaque sujet est appuyé par de longs extraits qui donnent une bonne idée du ton et style de l’ouvrage.
Outre les comptes-rendus de livres, La Revue des Livres propose quatre rubriques pédagogiques toujours aussi denses, « Le point sur », « Géographie de la critique », « Le Portrait », « Expérimentations politiques ».
Une fois dépassée l’appréhension causée par le dépouillement du magazine, il suffit d’un article (au choix du lecteur) pour se faire une opinion, positive en ce qui me concerne, et confirmée par le reste de la revue. Au fil des pages, il souffle un petit air revigorant, bien rare par les temps qui courent, celui de découvrir enfin des idées neuves, fouillées, argumentées tout en restant intelligibles à bon nombre de lecteurs. Et cela fait un bien fou de se muscler ainsi la cervelle avec autre chose que de la matière toute faite et bien pensante. Savoir ainsi qu’il existe des pistes inexplorées vous redonne une belle pêche, et un moral lui aussi neuf. Quand on aura mis un petit bémol sur quelques pages en isme un peu touffues et qu’on aura ajouté que l’iconographie, œuvre d’une coopérative artistique (Société Réaliste) nous dépasse un peu, il nous restera à conclure. Ce sera bref : objectif atteint, on en redemande. Vivement le numéro 005. Il faudra patienter un peu, la mise en kiosque est prévue pour le 2 mai 2012.
BOOKS, L’actualité par les livres du monde
Nom du magazine : BOOKS
Sous-titre : L’actualité par les livres du monde Numéro : 10 Périodicité : mensuel Format : 27X34cm Nombre de pages : 72 pages Parution : Novembre-Décembre 2009 Prix : 5,50€ |
Le dossier. Le dossier en question occupe quinze pages sur quatre colonnes, petits caractères (taille 10 voire 9), quelques illustrations non démesurées et format proche du tabloïd. C’est du dense. Pour décrypter « L’Islam à l’épreuve du texte », quatre articles tirés de magazines étrangers. Pour chacun des textes, une présentation rapide du contenu sous la forme d’un résumé (En deux mots), de l’auteur de l’article, de l’ouvrage de référence et de son auteur. C’est là l’originalité de ce mensuel littéraire, rubriques et articles viennent commenter un ouvrage ou une étude sur le sujet. Ainsi l’un d’eux, « L’islam contre ses démons », s’appuie-t-il sur un ouvrage de Carl W. Ernst intitulé Following Muhammad : Rethinking Islam in the Contempory World, traduction En suivant Mahomet, repenser l’Islam dans le monde contemporain. Autre particularité bien pratique, les notes de fin d’article sont traitées dans la page entre les colonnes 2 et 3. Quelques phrases clés, un encart « Sunnites et Chiites » et deux photos parsèment le texte de ruptures bienvenues. L’article se termine sur un dernier pavé « Pour en savoir plus » qui propose une quinzaine d’ouvrages pour approfondir. On est loin du survol habituel, Books s’est concentré, semble-t-il sur les questions clés.
Et le reste me dira-t-on ? Un document copieux annoncé en couverture fait le portrait en huit pages de Freeman Dyson, mathématicien et physicien américain de 85 ans, sceptique de l’effet de serre (ou plutôt de ses conséquences), un sceptique encombrant lorsqu’on découvre son CV. Et puis une dizaine de rubriques développées en quatre pages sur des sujets variés, histoire, littérature, économie, art. À la façon du dossier, chaque article s’appuie sur un livre (ou un document) et reprend le texte d’un journaliste, en général choisi avec discernement et ne sonnant pas le creux. On en a largement pour ses 5,50€. On apprend ainsi qu’une nouvelle biographie de Kafka le montre sous un nouveau jour et invite « le lecteur à se débarrasser de la kafkologie » en s’appuyant sur l’œuvre plutôt que la critique ou comment « l’arrivée du milliardaire Roman Abramovich à la tête de la Tchoukotka, dans le Grand Nord russe a bouleversé les repères et transformé l’identité des colons de 1950 ». Le choix des sujets sort des sentiers battus, les extraits publiés sont remarquablement rédigés et le lecteur peut toujours aller plus loin grâce à la bibliographie qui accompagne le sujet. Seul petit point noir, les nombreux ouvrages ainsi détaillés possèdent rarement une traduction française ce qui en limite l’exploitation possible. Quand on aura ajouté le traditionnel « Courrier des lecteurs », le « périscope », tour d’horizon des livres du monde à ne pas manquer, « Jadis et Naguère », retour sur le meilleurs des livres anciens et « SKOOB », l’insolite dans les livres, les « Francophilies », les « Bestsellers » et la « Censure » traités comme il se doit, c’est-à-dire sans excès, le tour d’horizon sera complet.
Bilan du voyage : Sous une pluie de livres comme on n’en voit pas ailleurs (ou tout du moins rarement), le lecteur invétéré est gâté surtout s’il est curieux ou intello. Des ouvrages complexes, même compliqués, hors mode, qui resteront toujours d’actualité, comme des témoins d’une époque. L’équipe éditoriale de Books est constituée d’excellents dénicheurs capables de monter au sommet de l’arbre pour y cueillir des textes rares et importants, du monde entier, pour une approche sociétale par le livre, loin des modes et du superficiel. Il est certain qu’à la lecture de ce magazine, la bibliothèque montdésirienne risque de s’enrichir sans grand danger de se tromper. Que demander de plus, sinon de vérifier qu’en 2011, les valeurs de magazine sont toujours présentes. Ce sera l’objet d’une future analyse d’un Montdésir ou d’un lecteur de ces pages.
Olivier DOMERG :Treize jours à New-York voyage compris
Titre : TREIZE JOURS À NEW-YORK VOYAGE COMPRIS
Auteur : Olivier Domerg Editeur : [LE BLEU DU CIEL] Format : 17,5X20,5cm Nombre de pages : 164 pages Parution : juin 2003 Prix : 18€ ISBN : 2-915232-04-0 |
Des notes, Olivier Domerg en a pris à foison. Il les livre en petits caractères et lignes courtes, sur la gauche de la page. De temps en temps surgit une amplification, une vue à la loupe que l’auteur appelle « un détail travaillé près du corps », plongée dans les entrailles de la ville qui nourrira la photo d’ensemble d’un pixel supplémentaire. À d’autres endroits, le récit s’interrompt pour une respiration de quelques pages, vingt-et-une au total, que l’auteur nomme actions ou poèmes, des textes objets, en prose le plus souvent, aux formes variées : là, apparaît un schéma symbolique, un quadrillage habité de majuscules ; ailleurs, une suite verticale de Z en filigrane d’un carré de texte, soulignant par le trait les lignes fortes de cette ville de la démesure avec ses étages empilés comme des cubes et griffés chacun d’un escalier de secours.
Le récit se décline au jour le jour, dès la pose du pied sur l’aéroport. Il s’interrompt au onzième jour sur une « série policière » en laissant planer le mystère sur les deux derniers journées. Domaine privé peut-être à ne pas jeter en pâture.
Mais l’ouvrage n’est pas terminé pour autant. L’auteur se lance dans un nouvel exercice, « ce qui te reste de N.Y. », douze chapitres (voyage retour non compris peut-être) d’impressions déclinées en vers octosyllabiques assez lâches où le lecteur retrouve un léger résumé (le poète est prolixe) de ce qui a été dit dans le corps du récit, façon peut-être d’imprimer en gras dans les têtes les évocations déjà faites.
Enfin, moyen très habile de taper à nouveau du marteau sur la pointe, dernier passage sur le voyage : une série de photographies en noir et blanc, de Brigitte Palaggi, compagne de voyage. Des « temps de prose », images fortes ou instantanés, comme cette jeune fille étalant et vendant sur la rue le contenu de son appartement ou cette complicité entre le saxophoniste Bill Braxton et son fils sur une scène new-yorkaise, qui impriment si ce n’était déjà fait ce sentiment de démesure et d‘insolite qui se dégage de cette ville dont on ne sort pas indemne.
Au final, l’effet de répétition aidant, les mots accumulés, déformés, minimisés ou épaissis, le graphisme, la mise en forme des textes, donnent de la ville, avec une certaine netteté, un effet de gigantisme avec la course à l’altitude des gratte-ciel dans un quadrillage serré, mais aussi une vision lilliputienne des vies qui s’imbriquent, se brassent et se côtoient de façon ordonnée et presque naturelle dans ce qui ressemble fort à l’organisation d’une ruche.
Dans cet ouvrage, Olivier Domerg laboure de façon très personnelle une parcelle de poésie contemporaine. Du paysage (urbain dans le cas qui nous concerne) exploré, il en extrait un substrat, une âme, un concentré que le lecteur filtre de lui-même. Du foisonnement des mots, de la répétition, pas certain que chacun en obtienne un même élixir. Il est sûr cependant que, sous le foisonnement des mots et l’effet de répétition, le lecteur ait été touché. N’est-ce pas là le but de la poésie ? Original mon cher Watson.
Jean-Pascal DUBOST - Poète - Lecture publique
Ouvrages cités :
Ouvrages cités : Fondrie (Cheyne) 2002 Fatrassier (Tarabuste) - 2007 Intermédiaires irlandais (Apogée) 2010 |
Sur les gradins, un public hétéroclite constitué d’une bande de lycéens (en service commandé ?), des amis et des connaissances du poète et de l’organisation, une poignée d’individuels attirés par la semaine de la Francophonie et le Printemps des Poètes.
De la tribune, s’avance un homme, sans doute l’animateur de la soirée, qui s’excuse, sa connaissance de l’auteur est enfermée dans un ordinateur récalcitrant. Après l’énoncé de quelques généralités, piquées dans la fiche de séance, il laisse la parole à l’invité qui préambule à son tour, avertit les participants que le rythme de lecture rapide, en accélération progressive, pourrait dérouter.
Une lecture en trois temps. Pour débuter, des courts extraits du dernier ouvrage, Intermédiaires irlandais (Apogée 2010), les mots tirés d’une période de retrait, solitude alcoolisée et longues marches dans une Irlande retirée du monde. La lecture est rythmée, sans temps mort. Au fil de ces brefs passages, l’on en vient à mettre des images personnelles, des tranches de vie, des impressions, une certaine mise en phase avec le poète.
L’homme se lève, boit une gorgée de vin, s’approche du micro sur pied, pour évoquer à sa façon, en une dizaine de textes, ceux qui, à un moment donné, ont compté ou croisé son parcours de poésie. L’on est à peine surpris à l’évocation de Valérie Rouzeau ou d’Albane Gellé, car l’écriture de Jean-Pascal Dubost s’en approche avec ses phrases éclatées, mots mêlés ou collés, juxtaposés en une mosaïque qui parfois chante, à d’autres moments écorche et dont le sens profond demanderait plus qu’une lecture écoutée. Une poésie contemporaine qui a trouvé cette voie, cette forme et qui cherche quoi par là ? Dans la liste, surgit en décalage un certain Lamartine : pour ce dernier, l’artiste en scène ajoute un sous-titre "Détestation", un mince sourire aux lèvres. Pendant cette partie, comme pour la suivante, le lecteur lit debout, immobile, seuls les yeux décrochent parfois pour un regard en coin vers l’assemblée. Sur les banquettes, les fesses commencent à se plaindre de la dureté des planches.
Enfin, l’auteur décroche le long texte pendu à la tête de mort, quatre-vingt bons centimètres de feuilles A4 bout à bout pour une unique phrase dévidée à la vitesse d’un TGV, un texte inédit d’où sortent quelques collages, un pâté de mots dira un participant, dont on retient plus l’édifice que le sens.
Fin de la prestation. Car il s’agit d’une prestation. Aujourd’hui les mots ne suffisent pas, la poésie doit être spectacle pour qui veut en tirer quelques subsides, à plus forte raison s’il veut en vivre. Cette présentation fut propre, très au point, bien envoyée en moins de trois quarts d’heures. Au-delà de la forme et de la prouesse technique, n’oublions pas que la poésie est un langage de communication entre les hommes : une fois passées la surprise et la musique des mots, reste à savoir si le poème va plus loin et touche le lecteur au plus profond de lui-même. Néanmoins, on peut dire que l’invité a rempli sa mission. Applaudissements donc. Mérités.
Deuxième partie de la soirée : le débat. Là c’est une autre musique. L’animateur s’avance, début du dérapage. La grappe des étudiants commence à se disloquer par paquets de trois ou quatre : désintérêt pour le débat, pour le poète, fin du service commandé, limite de la capacité d’attention ? De leur bouche, on n’en saura rien. De celle de l’animateur, l’on apprend qu’une autre soirée les attend.
Les premières réactions du public sont négatives. L’on ne comprend pas le pourquoi d’une telle juxtaposition de mots sans qu’on y trouve de sens. Où est l’émotion ? D’autres prennent la défense de Lamartine pendant que d’autres ricanent en catimini. Très calme, même digne, le poète répond, s’explique, explique son amour des mots, de tous les mots qu’il aime tisser, coller et assembler. Il avoue un certain goût de la provocation, le souhait est de faire réagir l’auditeur. D’une certaine façon, c’est gagné. D’autres voix interviennent à leur tour pour dire que certains textes ont atteint leur but.
Un peu désemparé par la tournure du débat, l’animateur tend le micro à l’un de ses amis qui clame son admiration pour la patience du poète qui, après un tel effort, accepte encore de se justifier.
Le débat prend alors la tournure d’une lutte de clans, une querelle de chapelles, encore une. La poésie est-elle à un point de confidentialité où elle peut s’offrir des luttes intestines ? L’animateur du jour, dépassé, incapable de prendre à la fois la main et un peu de hauteur, n’a d’autre argument que de proposer qu’on en reste là et de se diriger vers le pot qui doit suivre. Les combattants du jour n’entendent plus et continuent de ferrailler.
Les ingrédients d’un riche débat sont là, il manque un vrai chef d’orchestre. Quand l’un des participants exaspéré commence à parler de vieux cons, il ne sert plus à rien de prolonger. En toute urgence, l’on passe au pot. Si la poésie du jour n’était pas au goût de tous, au moins le vin obtient la faveur de l’ensemble des participants.
Légèrement grisé par l’avalanche de mots plus que par l’alcool, l’on se retire, perplexe, en ce qui me concerne un exemplaire de Fatrassier (Tarabuste 2007) sous le bras. Un peu désabusé aussi. Une dizaine d’années plus tôt, dans les mêmes conditions, une autre lecture publique du même Jean-Pascal Dubost autour de son ouvrage Fondrie (Cheyne 2002) s’était déroulée tout autrement et le débat avait été d’une autre tenue, écoute et respect. Il faut préciser qu’il était mené par une certaine Cathie Barreau. Les temps changent.
mardi 4 septembre 2012
Didier DAENINCKX - Nazis dans le métro
Titre : NAZIS DANS LE MÉTRO
Auteur : Didier DAENINCKX Editeur : Folio policier - Gallimard Format : 11X18cm Nombre de pages : 164 pages Parution : décembre 2006 1re publication : 1997 Prix : 5,70€ ISBN : 978.2.07.034172.6 |
Là, on retrouve le Didier Daeninckx, écrivain militant et éclairé, qui nous entraîne dans les milieux de la droite extrême, néonazie, pour une démonstration, documents à l’appui, de l’interpénétration possible/probable des extrémistes de tous bords, l’internationalisation des réseaux et le retour larvé (et très secret) de pensées qu’on croyait balayées. Dans cette partie de l’ouvrage, l’auteur excelle, démonte et démasque, en résonnance avec son héros redresseur de torts libertaire : là sont les meilleurs moments du livre.
Quinze ans après la première publication de l’ouvrage, le métro quitte parfois le souterrain pour circuler en aérien et la confusion des « ismes » de toutes sortes ne parait plus si improbable lorsqu’on observe les flux d’opinion actuels. Démonstration réussie de ce coté-ci.
Il y a cependant un hic : l’intrigue s’avère un peu courte, allongée par des digressions sans autre intérêt pour le lecteur de relâcher la pression par quelques détours bucoliques. Le pschitt des pistes qui se dégonflent est un peu facile même si le ballon mis à plat se permet quelques soubresauts. Mais l’on pardonnera volontiers ce petit penchant à la facilité car le message à passer a bien atteint son but, la lecture est confortable et le style de Didier Daeninckx révèle quelques formules savoureuses qui semblent n’appartenir qu’à lui.
Abdelkader DJEMAÏ : Gare du Nord
Titre : GARE DU NORD
Auteur : Abdelkader DJEMAÏ Editeur : Seuil Format : 14X20,5cm Nombre de pages : 96 pages Parution : mai 2003 Prix : 11,00€ ISBN : |
Mais ce qui leur trotte par la tête est ailleurs, dans le souvenir de la vie difficile qu’ils ont menée, les petits soucis quotidiens, le plaisir d’un esquimau dégusté au Louxor, la rencontre avec l’Ange Blanc, les petits plats qui leur rappelle la pays qui leur manque tant. Leurs amis, Zaza la serveuse, Brahim le coiffeur, Med, l’écrivain public et Solange sa femme, Hadj Fofana, le marabout, sont tous de là-bas de l’autre côté de la Méditerranée. Quand c’est le rassemblement à la Chope Verte, il n’en manque pas un pour écouter les chants du pays. Certains oublient même les années et esquissent quelques pas de danse.
Cette vie discrète s’efface peu à peu dans la rénovation du quartier. Dans les « lambeaux de papier peint » des immeubles qu’on effondre, Med devine « les silhouettes, les ombres, la présence de ceux qui avaient vécu là ». Et il lui prend l’envie d’écrire un livre sur les chibanis de Barbès-la Goutte-d’Or. « Un livre simple et limpide où ils seraient comme chez eux. Un roman sans graisse et sans prétention, qui les accueillerait avec leurs forces et leurs fragilités, leurs tatouages ; leurs rides et leurs rêves », où il raconterait l’humiliation, les maladies, les larmes et la colère, les femmes et les gamins laissé de l’autre côté de la mer, où il aurait l’honnêteté de dire aussi « que tout n’était pas si sombre, qu’ils pouvaient, malgré l’injustice, manger à leur faim... »
Le livre en projet de Med, Abdelkader Djemaï l’a écrit, un ouvrage bref (96 pages) qui va à l’essentiel. Chaque détail de vie ainsi exposé parait à première vue aussi insignifiant que la touche de peinture d’un tableau. L’accumulation harmonieuse que l’auteur en a faite donne un texte lumineux comme les grands fenêtres rondes de la gare du Nord. Tout cela dans un langage d’abord facile au vocabulaire simple, le contraire aurait été mal venu. Nul doute que les chibanis ont apprécié ou apprécieront leur quotidien ainsi mis en valeur, devenu acceptable par la puissance de l’écriture.
Mais l’ouvrage va beaucoup plus loin et s’adresse à un large public à qui, par la magie d’une habile description, sans jamais la nommer, laisse à deviner au lecteur la fracture entre ces immigrés de longue date pourtant et le reste de la population. Le premier réflexe serait de les montrer du doigt : que font-ils pour s’insérer, élargir le cercle ? Et le pile devient face. Qu’ont-ils fait à Martinez, le patron du PMU, pour que ce dernier les méprise ? Pourquoi ont-ils abandonné la chéchia ou le turban ? Les faits et gestes des trois acolytes en suggèrent bien d’autres. Cette vie souterraine ne trouve sécurité que parmi les siens, à la Chope Verte, chez le coiffeur Brahim ou encore à la Gare du Nord : avec leurs millions de pas, les voyageurs sont un peu comme eux, des étrangers.
Un livre qui donne à voir pour comprendre. Et si l’on cherche une réponse, on pourra méditer sur l’attitude de Lucien Guyomar, le Breton de la chambre 7, emporté par une ambulance un jour de neige : les trois compère ont adopté son chat.
Miguel de CERVANTES - L'ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche
Titre : L’INGÉNIEUX HIDALGO DON QUICHOTTE DE LA MANCHE Auteur : Miguel de CERVANTES Traduction : Aline SCHULMAN Préface : Jean-Claude CHEVALIER Editeur : Seuil Format : 14,5X22cm Nombre de pages : 528 pages (t1) et 550 pages (t2) Parution : 1996 Première parution 1605 (tome 1) et 1615 (tome 2) Prix : 149F le tome |
Rester au premier degré de l’aventure conduit vite au manque d’intérêt, donc à l’impasse. Le combat à contretemps, contre les moulins à vent, la libération des forçats et quelques autres prouesses de ce type relèvent de la folie d’un homme, mais le dérangement dont souffre Don Quichotte dérange quelque peu le lecteur tant le chevalier fait preuve de sagesse et d’érudition dans les moments de lucidité. Le sourire fait alors place à l’interrogation, au besoin de comprendre les motivations de cet homme épris d’idéal, capable d’entraîner à sa suite un écuyer parfois crédule, à d’autre moments rempli de bon sens, le bons sens des gens de la terre confrontés aux dures réalités de l’existence. Si l’aventure rencontrée au hasard du chemin tourne souvent au fiasco, au contact du chevalier errant et de son écuyer, des situations extrêmes, figées, au bord du définitif, se dénouent grâce à eux (rare), malgré eux ou sans eux. Si bien que nos deux héros s’en retournent chez eux, pour la fin du premier tome, conforté dans son délire pour le premier, riche de deux cents écus bienvenus pour le deuxième.
Déjà le questionnement s’immisce dans la tête du lecteur. Aventures décalées, d’un autre temps peut-être, les enchantements d’aujourd’hui existent, ils ont simplement changé de nom (et encore ?). Combien perdent la tête et le sens des réalités devant les jeux de toutes sortes (grattage, tirage et j’en passe), le mirage de l’endettement, la poussée des sectes, le souci d’un corps parfait, l’argent facile, le déni du temps qui passe et use, les ressources du sol inépuisables – chacun pourra continuer la liste avec des exemples de son choix. Devant l’illusoire, la lucidité perd ses droits et toutes les dérives sont possibles. Les enchantements du XXIe sont nombreux tout comme les chevaliers errants à la recherche du bonheur, ou de la sensation du bonheur, denrée très volatile, malaisée à mettre en cage.
Avec méthode, le deuxième tome démonte la mécanique. Entrent en scène les profiteurs (un duc et son épouse très riches) qui voient très vite le profit qu’ils peuvent tirer de ces deux bouffons hors de toute norme, se gaussent en douce, mais les encouragent, alimentent la supercherie en accompagnant le délire de mises en scène et de décors factices. Malgré cela, Don Quichotte n’est pas vraiment heureux : en manque d’aventure, il songe à reprendre l’errance. De son côté, Sancho Panza, déçu, refuse l’archipel de ses rêves. L’intervention inquiète des amis, le bachelier, le curé, ne fera pas mieux que de briser le rêve et d’enfermer les aventuriers dans une réalité dont le chevalier ne sortira pas vivant.
Que peut tirer le lecteur de ces mille pages ? Une belle leçon de vie pour qui fera l’effort de dépasser le cadre de ces histoires certes extravagantes, et encore l’étaient-elles il y a quatre siècles alors que les chevaux étaient de chair et que les enchanteurs couraient la campagne (ou du moins la tête des gens simples). Dans le fil de l’aventure comme dans la bouche de ses personnages, Miguel de Cervantès, comme le dit si bien Kundera, voit « le monde comme ambiguïté, avoir à affronter , au lieu d’une vérité absolue, un tas de vérités relatives qui se contredisent… ». Rien ne vaut la parabole, la narration, pour le démontrer et c’est là que le roman, par la plume de l’écrivain joue son rôle, un rôle irremplaçable car il peut tout se permettre et tout dire, assujetti qu’il n’est à aucune règle.
Ce constat suffirait à faire de l’ouvrage de Cervantès un roman moderne par le message universel qu’il distille. Mais l’écrivain n’en est pas resté là, il a cassé toutes les convenances du récit si l’on excepte la chronologie respectée à la lettre. Le temps devient élastique : d’un trait de plume, Don Quichotte et ses amis sautent trois cents ans. Le livre des exploits du chevalier précède même l’exploit du héros, ce qui fâche ledit chevalier : celui s’empresse de contredire le destin qui lui est promis en modifiant sa destination. Quant aux détails matériels, l’auteur se moque des incohérences qu’il traite par le mépris : les lieux, les éléments, le paysage sont au service de l’histoire et des personnages, un point c’est dit.
Reste l’écriture et le style. Le langage ampoulé, parfois précieux, sont remarquablement retracés par la traductrice Aline Schulman. Style de l’époque qui peut surprendre au premier abord par rapport aux phrases courtes, dépouillées d’aujourd’hui. Les dialogues sont de longs monologues rarement interrompus par les interlocuteurs. Avec les siècles, la langue s’est épurée, simplifiée, tendue vers le but à atteindre au plus vite, la flânerie n’a plus court. Il n’est pas certain que ce style un peu désuet plaise au lecteur d’aujourd’hui. Une fois passée la phase d’adaptation nécessaire, on se laisse cependant facilement conduire au pas lent du chevalier d’autant que l’érudition /imagination de Cervantès est foisonnante et que l’ennui est rarement au rendez-vous. Question humour, Sancho Panza s’en charge par ses réparties et la litanie de proverbes (inventés ? repris ?) qu’il débite tout au long des deux livres. Cela pour dire que Cervantés a accompli là quelque chose de gigantesque, à l’issue d’un travail qu’on devine monstrueux, c’est sans doute le prix à payer pour qu’un ouvrage prenne l’importance d’une œuvre.