lundi 1 octobre 2012

Gérard MANSET - Visage d'un dieu inca


Titre : VISAGE D’UN DIEU INCA
Auteur : Gérard MANSET
Éditeur : Gallimard l’Arpenteur
Publication : 2011
Nombre de pages : 120 pages
Prix 12,00€
ISBN : 978-2-07-013401-4




Alain Bashung : un dieu inca  pour Gérard Manset, aussi inaccessible qu’un dieu puisque la première approche furtive se déroule en 1985 pendant les Francofolies, l’artiste en pose maquillage semblait somnoler. « Regardait-il entre ses cils, fixait-il, épiait-il ? » Puis rien d’autre ? Et pourtant, « on se retrouvait sur la page 7 d’un Rock &Folk, sur la page… ou bien le contraire (…) Quand je sortais Lumières, lui c’était Play Blessures ; moi dans Matrice, lui dans Rio Grande. » Certes ils ne pratiquaient pas les mêmes voyages, pourtant le « voyageur solitaire » Manset à la carrière atypique, allergique à toute promotion médiatique, en connaissait du monde, beaucoup de monde, dans le microcosme, partageant de longs dîners en tête à tête avec l’un ou l’autre.
La rencontre aura lieu sur le tard, au moment de Comme un Lego, une création de Gérard qu’ils interpréteront l’un et l’autre à quelques mois d’intervalle.  « Mais finalement nous nous étions retrouvés sur le dernier parcours, et c’était bien ainsi… rationnel, constructif. » Bien qu’il ne cède rien sur le talent, «  Qu’étions-nous l’un pour l’autre, jumeaux monozygotes de l’œuf unique d’une poésie inexprimable », Gérard Manset admirait son égal et sans doute plus « Il était mon cadet mais j’adoptais devant lui une attitude d’écoute, d’attente respectueuse. Il avait un « message » Cela ne me dérangeait pas. » Et de poursuivre aussitôt « Il était mon semblable, à la fois différent, déférent, et moi de la même manière très attentif à ne pas froisser quelque repli de son être ».
Et le Lego qui les rassemble est aussi une forme de compétition qui ne dit pas son nom entre celui qui cultive la « bizarrerie » à « s’enterrer, à voyager sans cesse, à s’acharner dans l’abstraction de productions » et l’autre dont le vrai moteur est « celui de la route, des premiers rangs, celui du fluide qui précédait la communions avec ce monpublic ». Le premier est carré dans le studio d’enregistrement quand l’autre tâtonne, jamais sûr de lui, se fait attendre, imprévisible. Et lorsque tombe Bleu Pétrole, c'est la révélation pour Manset. Lego : « Quelle immersion… un doux rouleau de bitume, ce roudoudou noirâtre luisant comme un réglisse, ruban hallucinant sur huit minutes ou plus… », Vénus « Je les ai vues et eues d’un coup, prises en pleine face, ces pommes et ces pêches d’or… », puis La Pianiste, « J’étais en sueur. Il m’avait convaincu, il l’avait eu lui-même, l’avait dompté, ce morceau, le maitrisant comme le signifiait le texte… ». Ce questionnement sur une phrase de Starck : « Allez, je te laisse, je préfère écouter le vrai… ». Le vrai ?  Un peu plus loin, l’expert qui « m’avait dit ceci : « Il aura le prix SACEM, ce serait bien que tu sois là… ».
En filigrane, la joute tranquille qui s’est jouée autour de Bleu Pétrole, ce Visage d’un dieu inca comme l’hommage qui a suivi, sont l’occasion pour le solitaire de faire un retour sur soi, au donneur de leçons pas toujours tendre  avec le milieu de s’interroger à demi-mot sur cette carrière menée à l’écart de monpublic, d’étaler en sourdine un demi regret pour, au moment de  l’emballage final, terminer son ouvrage sur ce propos en forme de doute « je me suis souvenu qu’Alain aussi m’avait proposé cela, de faire Lego avec lui, pour Pleyel, pour la réouverture de Pleyel. Il avait attendu. »
Il s’en est fallu de peu, pour que je passe une fois de plus, à côté de cet ouvrage profond, émouvant et fort bien écrit. Il faut préciser que « Les petites bottes vertes » (2007), ingurgitées en un autre temps, avaient laissé de marbre. Gérard Manset a ce défaut de parler au lecteur comme à une relation du microcosme, parfaitement au fait des arcanes du milieu, inévitablement du loin de son fauteuil le lecteur ne capte pas tout. À la longue, le mystère devient pesant lorsqu’un texte très travaillé comme sont les siens, nécessitant toute l’attention du lecteur, débouche sur une énigme dont on n’aura pas toujours la solution, «  comme celui-ci, au visage allongé, osseux, d’une calvitie rappelant Jean Marais dans le Bossu, l’ombre protubérante d’un acteur vénitien qui endossait l’habit de Casanova dans un film éponyme sorti en 1976. Visage crayeux poli comme un galet, un morceau de tronc racé, haut séquoia faisant figure de patriarche… mais jeune encore, cheveux en zigzag, œil clair ». En quatre années, l’écrivain Manset n’a pas changé, phrases ciselées, chronologie jetée au panier, plume acérée, digressions, confidences lâchées au fil de la conversation au proche qu’on n’est pas, vu que le dieu Manset est inapprochable. Il a fallu une deuxième lecture, émaillée de recherches documentaires, pour éprouver un réel et grand plaisir à la lecture de ce bel ouvrage car, Alain Bashung, me semble-t-il, ne pouvait recevoir de plus bel hommage que celui-là. Mais de grâce, monsieur Manset, descendez (de temps en temps) de votre piédestal !

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