vendredi 19 octobre 2012

Dany LAFERRIÈRE : Tout bouge autour de moi

Titre : TOUT BOUGE AUTOUR DE MOI
Auteur : Dany LAFERRIÈRE
Editeur : Grasset
Format : 13X20,5cm
Nombre de pages : 192 pages
Parution : 2011
Prix : 15,00€
ISBN : 978-2-246-77737-1





En 2009, l’écrivain haïtien Dany Laferrière résident au Canada connaît la consécration (en France) en décrochant le prix Médicis pour son ouvrage L’énigme du retour, très beau livre nostalgique et poétique, retour d’exil sur les traces du passé, des origines, du père et des artistes de son pays. Une merveille, des fragments de vie en prose ou en vers, ouvrage rangé sans coup férir dans les incontournables de la bibliothèque personnelle.
Au Québec, l’homme n’est pas inconnu. Il s’est fait remarquer dès 1985 par un titre à décoiffer Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer ? Suivi de quelques autres tout aussi insolites, Le goût des jeunes filles, Cette grenade dans la main du jeune nègre est-elle une arme ou un fruit ? Ouvrages à lire à deux niveaux : sous couvert de désinvolture et derrière l’humour, se posent les questions existentielles de la négritude et du déracinement, bien difficiles à vivre dans l’exil. Car l’obsession de l’auteur est là-bas, dans le pays de sa jeunesse, où planent l’insouciance et le danger permanent, où l’apprentissage de la vie se fait dans la rue, par la fête, la Culture, poésie et musique qui résonne à tous les coins de rue. L’énigme du retour vient à point. Loin de l’inspiration, l’écrivain s’était un peu étiolé à la recherche d’un nouveau souffle porteur. Dans son ouvrage précédent, Je suis un écrivain japonais, il n’avait plus rien à dire, le temps et la distance avaient réduit le pays à l’état d’une outre sèche. L’idée du retour, l’énigme du retour, lui insuffle un nouveau souffle. L’homme se réveille, concrétise l’énigme en effectuant un vrai retour pour un salon littéraire à Haïti. C’est là, dans son hôtel, que le séisme le surprend le 12 janvier 2010 à « 16 h 53 », « j’ai pensé qu’une chaudière venait d’exploser. Tout cela a duré moins d’une minute. On a eu huit à dix secondes pour prendre une décision. Quitter l’endroit ou rester ». Miraculé, il prend des notes et relate le drame vécu de l’intérieur. Voilà que l’outre se remplit. Et qu’elle déborde. Ainsi plongé dans le malheur, l’écrivain retrouve ses marques à toute vitesse et devient le chantre, l’apôtre de l’île blessée, ce qui le conduit à la tête d’une escorte d’écrivains haïtiens aux Étonnants voyageurs de Saint-Malo. Début 2011, un an après le drame, l’écrivain publie sa version des faits dans Tout bouge autour de moi.
Le nouvel ouvrage est une succession de textes courts – 129 au total, une à deux pages en moyenne – tirés du petit calepin noir qui ne le quitte jamais en voyage et respectant l’ordre chronologique. Au-delà du désastre de la pierre, le changement est profond, irréel, hors des normes, « Le béton est tombé. La fleur a survécu », « pour une fois, dans cette ville, dans cette ville hérissée de barrières sociales, on circule tous à la même vitesse », « c’est là que j’ai compris que tout le monde était touché ». Tant bien que mal, la vie s’organise, le dénuement oblige à de nouvelles habitudes, l’on part à la recherche des proches dont on n’est sans nouvelles, les premiers corps et la vie qui reprend vie « Même le malheur ne parvient pas à ralentir l’incessante activité quotidienne dans ces régions pauvres du monde. »
Puis vient l’heure du choix, le cœur dit de rester avec ces gens et l’esprit souffle qu’on serait plus utile là-bas pour eux. Dix secondes pour prendre sa décision et dire à l’opinion occidentale que non, ce pays n’est pas maudit. « Qu’a-t-il fait de mal pour être maudit ? »
Retour trop rapide peut-être car l’écrivain revient à la première occasion, observe à nouveau, refait les mêmes parcours. Passé le premier choc, la réflexion s’allonge, les textes de l’écrivain aussi. La Culture renait, s’impose, il ne faut pas laisser le terrain à ceux qui vont vampiriser l’île et son malheur sans y mettre le pied. Déjà la télévision qui peut faire « fleurir une rose en dix secondes » a mis la manette en mode virtuel accéléré alors que « la vie d’un peuple se compte en siècles, parfois en millénaires » et qu’il faut bien trente ans avant que le moindre tressaillement se fasse sentir après un nouveau virage de société. Les artistes, les poètes se rencontrent et s’approprient le drame. Naissance d’un Art nouveau, d’un nouveau lien social, un investissement total de ceux qui comptent comme l’ami Marcus et sa petite radio, Mélodie FM. Et puis il y a dans les camps, la pluie, le « petit moment » pour le désir et l’amour, la lecture pour les enfants, et puis un jour, l’on revient là où la minute du 12 janvier vous a surpris. Et là tout est dit.
Présent de manière fortuite, « j’étais là », au moment du drame, Dany Laferrière a choisi de déblayer les décombres de son pays d’origine à sa façon, avec son stylo. À la manière des peintres ou des poètes locaux, il dresse dans ce livre un tableau pointilliste de la situation, une toile élaborée de l’intérieur, lentement, à petites touches, faits de vie minuscules, ignorés devant l’intensité du drame par un envoyé spécial pressé par sa direction. Le message envoyé par l’auteur n’a pas la noirceur de ce qu’on a pu voir sur les écrans. Dans l’île, on en a connu d’autres, les Duvalier, les cyclones, et toute la misère d’un pays hors normes un peu laissé à lui-même. Bien sûr, le pays mettra du temps à s’en relever car il existe ici un attachement viscéral à la vie et le pays en sortira grandi, plus mature. Dany Laferrière nous laisse un véritable message d’espoir bien différent de ce qu’on a pu entendre.

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