Titre : TOUT BOUGE AUTOUR DE MOI
Auteur : Dany LAFERRIÈRE Editeur : Grasset Format : 13X20,5cm Nombre de pages : 192 pages Parution : 2011 Prix : 15,00€ ISBN : 978-2-246-77737-1 |
En 2009, l’écrivain haïtien Dany Laferrière résident
au Canada connaît la consécration (en France) en décrochant le prix
Médicis pour son ouvrage L’énigme du retour, très beau livre
nostalgique et poétique, retour d’exil sur les traces du passé, des
origines, du père et des artistes de son pays. Une merveille, des
fragments de vie en prose ou en vers, ouvrage rangé sans coup férir dans
les incontournables de la bibliothèque personnelle.
Au Québec, l’homme n’est pas inconnu. Il s’est fait remarquer dès 1985 par un titre à décoiffer Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer ? Suivi de quelques autres tout aussi insolites, Le goût des jeunes filles, Cette grenade dans la main du jeune nègre est-elle une arme ou un fruit ?
Ouvrages à lire à deux niveaux : sous couvert de désinvolture et
derrière l’humour, se posent les questions existentielles de la
négritude et du déracinement, bien difficiles à vivre dans l’exil. Car
l’obsession de l’auteur est là-bas, dans le pays de sa jeunesse, où
planent l’insouciance et le danger permanent, où l’apprentissage de la
vie se fait dans la rue, par la fête, la Culture, poésie et musique qui
résonne à tous les coins de rue. L’énigme du retour vient à
point. Loin de l’inspiration, l’écrivain s’était un peu étiolé à la
recherche d’un nouveau souffle porteur. Dans son ouvrage précédent, Je suis un écrivain japonais,
il n’avait plus rien à dire, le temps et la distance avaient réduit le
pays à l’état d’une outre sèche. L’idée du retour, l’énigme du retour,
lui insuffle un nouveau souffle. L’homme se réveille, concrétise
l’énigme en effectuant un vrai retour pour un salon littéraire à Haïti.
C’est là, dans son hôtel, que le séisme le surprend le 12 janvier 2010 à
« 16 h 53 », « j’ai pensé qu’une chaudière
venait d’exploser. Tout cela a duré moins d’une minute. On a eu huit à
dix secondes pour prendre une décision. Quitter l’endroit ou rester ».
Miraculé, il prend des notes et relate le drame vécu de l’intérieur.
Voilà que l’outre se remplit. Et qu’elle déborde. Ainsi plongé dans le
malheur, l’écrivain retrouve ses marques à toute vitesse et devient le
chantre, l’apôtre de l’île blessée, ce qui le conduit à la tête d’une
escorte d’écrivains haïtiens aux Étonnants voyageurs de Saint-Malo. Début 2011, un an après le drame, l’écrivain publie sa version des faits dans Tout bouge autour de moi.
Le nouvel ouvrage est une succession de textes courts – 129 au total,
une à deux pages en moyenne – tirés du petit calepin noir qui ne le
quitte jamais en voyage et respectant l’ordre chronologique. Au-delà du
désastre de la pierre, le changement est profond, irréel, hors des
normes, « Le béton est tombé. La fleur a survécu », « pour une fois, dans cette ville, dans cette ville hérissée de barrières sociales, on circule tous à la même vitesse », « c’est là que j’ai compris que tout le monde était touché ».
Tant bien que mal, la vie s’organise, le dénuement oblige à de
nouvelles habitudes, l’on part à la recherche des proches dont on n’est
sans nouvelles, les premiers corps et la vie qui reprend vie « Même le malheur ne parvient pas à ralentir l’incessante activité quotidienne dans ces régions pauvres du monde. »
Puis vient l’heure du choix, le cœur dit de rester avec ces gens et
l’esprit souffle qu’on serait plus utile là-bas pour eux. Dix secondes
pour prendre sa décision et dire à l’opinion occidentale que non, ce
pays n’est pas maudit. « Qu’a-t-il fait de mal pour être maudit ? »
Retour trop rapide peut-être car l’écrivain revient à
la première occasion, observe à nouveau, refait les mêmes parcours.
Passé le premier choc, la réflexion s’allonge, les textes de l’écrivain
aussi. La Culture renait, s’impose, il ne faut pas laisser le terrain à
ceux qui vont vampiriser l’île et son malheur sans y mettre le pied.
Déjà la télévision qui peut faire « fleurir une rose en dix secondes » a mis la manette en mode virtuel accéléré alors que « la vie d’un peuple se compte en siècles, parfois en millénaires »
et qu’il faut bien trente ans avant que le moindre tressaillement se
fasse sentir après un nouveau virage de société. Les artistes, les
poètes se rencontrent et s’approprient le drame. Naissance d’un Art
nouveau, d’un nouveau lien social, un investissement total de ceux qui
comptent comme l’ami Marcus et sa petite radio, Mélodie FM. Et puis il y
a dans les camps, la pluie, le « petit moment » pour
le désir et l’amour, la lecture pour les enfants, et puis un jour, l’on
revient là où la minute du 12 janvier vous a surpris. Et là tout est
dit.
Présent de manière fortuite, « j’étais là », au moment
du drame, Dany Laferrière a choisi de déblayer les décombres de son pays
d’origine à sa façon, avec son stylo. À la manière des peintres ou des
poètes locaux, il dresse dans ce livre un tableau pointilliste de la
situation, une toile élaborée de l’intérieur, lentement, à petites
touches, faits de vie minuscules, ignorés devant l’intensité du drame
par un envoyé spécial pressé par sa direction. Le message envoyé par
l’auteur n’a pas la noirceur de ce qu’on a pu voir sur les écrans. Dans
l’île, on en a connu d’autres, les Duvalier, les cyclones, et toute la
misère d’un pays hors normes un peu laissé à lui-même. Bien sûr, le pays
mettra du temps à s’en relever car il existe ici un attachement
viscéral à la vie et le pays en sortira grandi, plus mature. Dany
Laferrière nous laisse un véritable message d’espoir bien différent de
ce qu’on a pu entendre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire