Titre : DANS LES RAPIDES
Auteur : Maylis de KERANGAL Editeur : Naïve Format : 14,5X18,5cm Nombre de pages : 113 pages Parution : janvier 2007 Prix : 12,00€ ISBN : 978.2.35021.086.5 |
Remonter vers la source alors que l’œuvre n’est
encore qu’un mince filet, que l’auteur fait ses gammes et qu’il cherche à
se frayer un chemin dans l’ombre des herbes folles, s’avère souvent
très instructif. Le premier contact entre le lecteur et l’écrivain se
fait rarement à ce moment, mais plutôt quand un ouvrage abouti apparaît
sous les feux des projecteurs. Ainsi en est-il de Maylis de Kerangal
apparue en pleine lumière à la sortie de Naissance d’un pont et mettant en avant son cheminement au cours d’une lecture publique « le
premier livre n’a pas fait de moi un écrivain, c’est-à-dire c’est
quelque chose qui s’établit livre après livre. De fait il y a une
évolution, un cheminement… » Invitation forte à remonter le temps et découvrir l’écrivain en herbe par un ouvrage écrit en 2006, Dans les rapides, aux premiers contreforts de sa pente montante.
Trois filles de quinze ans, lycéennes au Havre en 1978, regard tourné
vers ce qui vient de l’autre côté de l’eau vers l’Angleterre ou
l’Amérique. Voilà qu’elles tombent dingues de Blondie, surtout de Debbie
la chanteuse du groupe, qu’elles découvrent dans une R16 pistache qui
les a prises en stop. Histoire à trois tissée entre le lycée, la maison,
le café, les garçons, les fringues et… la musique qu’elles aspirent
comme une éponge par tous les pores de la peau. La musique qui unit,
puis divise parfois lorsque Kate Bush surgit dans leur champ avec sa
voix irréelle. Comme l’amour qui fissure !
Une histoire de jeunesse donc, racontée au plus près, comme si elle
avait été vécue, comme l’ont vécue les jeunes de ces années, portés par
les musiques venues d’ailleurs comme signe d’une émancipation des jupes
parentales à la recherche d’une visibilité. Une histoire collective
propre à faire surgir sa propre identité, portée par les anglicismes et
les rencontres. Une histoire qui sent le vrai, portée par le détail qui
donne l’atmosphère. Livre d’écrivain en herbe encore vierge des défauts
nécessaires qui font l’ouvrage grand public où les qualités d’écriture
sont déjà là, amplifiées (était-ce toujours nécessaire ?) par un usage
immodéré de la métaphore. Et déjà une prédisposition à la surenchère par
l’utilisation des listes, et du vocabulaire avec ça, « clair de
lune brouillé sur la lande cornouailleuse, passion avide où les corps
bouches collées tourneboulent dans le vert des pelouses galloises,
fumées berlinoises expressionnistes, rosée du matin sur les visages
pâles des amoureux transis, fantômes de la mort, passions interdites,
romantisme fébrile ». La musique évoque donc et surtout
transporte dans un monde dont on sent bien l’extraordinaire, le verbe,
toujours le verbe, « tenue en haleine par au seuil d’un cosmos
poussé comme un champignon entre les pierres du rock, comme une herbe
tonique surgie dans les interstices d’un béton qui se fendille »
(p72). La description se fait dans l’action, ce qui semble donner un
mouvement perpétuel au texte sous l’avalanche des mots : « Lise
ne pouvait pas attendre, on la connaît, elle et son grand corps démangé
par l’impatience qui est sa marque de fabrique, elle dont la carcasse
carbure à l’air du temps, faisceau d’ondes matérielles qu’elle capte
comme personne dont elle s’empare comme la pie du bijou, enfourne
concrètement dans sa grande bouche vorace et convertit en vitamines
adéquates pour perforer le futur comme une fusée, elle dont la plus
cinglante vexation est de se trouver à côté de ce qui se passe, hors
jeu, Lise, la voilà » (p18). Tout cela pour dire que voilà un
ouvrage délicieux, proche de l’authentique, qui laisse à penser que la
différence entre l’auteur et l’écrivain est assez ténue et réside dans
la capacité à mettre de la distance entre soi et le texte, à le rendre
universel. Parfois c’est mieux, mais pas toujours.
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