Titre : LA PLACE Auteur : Annie ERNAUX Éditeur : Folio – Gallimard Publication : 1983 Nombre de pages : 114 pages Format : 11X18cm Prix : 4,80€ ISBN : 978.2.07.037722.0 Récompense : Prix Renaudot 1984 |
À l’image d’Albert Cohen (Le livre de ma mère) ou plus récemment d’Yves Simon (Un homme ordinaire), les écrivains sont légion à évoquer dans leurs écrits l‘un ou l’autre de leurs parents. Toutes aussi nombreuses sont les raisons de coucher l’ascendant direct sur le papier : admiration sans bornes, haine tenace, accomplissement du temps de deuil par l’écriture, conversation post-mortem, hommage posthume et bien d’autres encore.
Annie Ernaux s’y est mise en 1983, quelques mois après la disparition de son père. Décision prise dans le train du retour alors qu’elle essaie d’amuser son fils « pour qu’il se tienne tranquille, les voyageurs de première n’aiment pas le bruit et les enfants qui bougent ». Elle fait alors ce constat terrible « je suis une bourgeoise » et « il est trop tard ». Vient quelque temps plus tard le besoin, « il faudra que j’explique cela », « cette distance venue à l’adolescence entre lui et moi », « une distance de classe », « comme de l’amour séparé ». À la page 23, tout est dit, l’urgence par le texte de combler le fossé entre le père et sa fille.
La tentative de roman avorte, « sensation de dégoût au milieu du récit ». « Le roman est impossible », « je n’ai pas le droit de prendre le parti de l’art », changement de cap, « je rassemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père ». Quant au style, « l’écriture plate me vient naturellement, celle-là même que j’utilisais en écrivant autrefois à mes parents ». Les choses sont claires, le lecteur est averti, on commence aux origines pour une boucle qui se terminera à la page 24 dans le train du retour. Un livre limpide au style simplissime, paragraphes courts où la fille évoque à petites touches le père sans fioriture aucune. Un livre magnifique salué à bon escient par le prix Renaudot l’année suivante.
L’intellectuelle devenue « bourgeoise » s’est mise à la hauteur de l’humble père conscient d’être issu de rien, hissant sa vie à force de travail, heureux d’avoir ainsi vaincu l’adversité, travaillant jusqu’à la dernière minute et surtout fier de la réussite de sa fille, incarnant pour lui dans le changement de caste un summum de la réussite, lui-même s’étant « résigné à ce que son commerce ne soit qu’une survivance qui disparaîtrait avec lui ».
Livre aussi du regret pour l’écrivaine, celui de l’hésitation à redescendre du piédestal, une certaine gêne à affronter la modestie de ses origines. Proximité relâchée, besoin d’inviter des copines, les efforts maladroits du père « bonjour, monsieur, comment ça va-ti ? », l’étudiant de sciences politiques qu’on amène à la maison, la cravate du père, le mariage. « Après, il ne nous a plus vus que de loin en loin ». Les retours solitaires à la maison « j’y allais seule, taisant les véritables raisons de l’indifférence de leur gendre … comment aurait-il pu (le gendre) se plaire en compagnie de braves gens, dont la gentillesse, reconnue de lui, ne compenserait jamais à ses yeux ce manque essentiel : une conversation spirituelle ».
Les derniers jours passés au chevet du père, puis ceux qui ont suivi, ont fait surgir l’évidence de la fracture, une fracture personnelle qui est celle d’Annie Ernaux, qu’elle reconnait et assume avec une vraie humilité. Admirable. Mais le livre va plus loin. Bien qu’elle ne l’évoque jamais, l’histoire de l’auteur pourrait ramener le lecteur à son propre vécu, à la façon dont lui-même gère, va gérer ou a géré sa/ses fracture(s) générationnelle(s).
Annie Ernaux s’y est mise en 1983, quelques mois après la disparition de son père. Décision prise dans le train du retour alors qu’elle essaie d’amuser son fils « pour qu’il se tienne tranquille, les voyageurs de première n’aiment pas le bruit et les enfants qui bougent ». Elle fait alors ce constat terrible « je suis une bourgeoise » et « il est trop tard ». Vient quelque temps plus tard le besoin, « il faudra que j’explique cela », « cette distance venue à l’adolescence entre lui et moi », « une distance de classe », « comme de l’amour séparé ». À la page 23, tout est dit, l’urgence par le texte de combler le fossé entre le père et sa fille.
La tentative de roman avorte, « sensation de dégoût au milieu du récit ». « Le roman est impossible », « je n’ai pas le droit de prendre le parti de l’art », changement de cap, « je rassemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père ». Quant au style, « l’écriture plate me vient naturellement, celle-là même que j’utilisais en écrivant autrefois à mes parents ». Les choses sont claires, le lecteur est averti, on commence aux origines pour une boucle qui se terminera à la page 24 dans le train du retour. Un livre limpide au style simplissime, paragraphes courts où la fille évoque à petites touches le père sans fioriture aucune. Un livre magnifique salué à bon escient par le prix Renaudot l’année suivante.
L’intellectuelle devenue « bourgeoise » s’est mise à la hauteur de l’humble père conscient d’être issu de rien, hissant sa vie à force de travail, heureux d’avoir ainsi vaincu l’adversité, travaillant jusqu’à la dernière minute et surtout fier de la réussite de sa fille, incarnant pour lui dans le changement de caste un summum de la réussite, lui-même s’étant « résigné à ce que son commerce ne soit qu’une survivance qui disparaîtrait avec lui ».
Livre aussi du regret pour l’écrivaine, celui de l’hésitation à redescendre du piédestal, une certaine gêne à affronter la modestie de ses origines. Proximité relâchée, besoin d’inviter des copines, les efforts maladroits du père « bonjour, monsieur, comment ça va-ti ? », l’étudiant de sciences politiques qu’on amène à la maison, la cravate du père, le mariage. « Après, il ne nous a plus vus que de loin en loin ». Les retours solitaires à la maison « j’y allais seule, taisant les véritables raisons de l’indifférence de leur gendre … comment aurait-il pu (le gendre) se plaire en compagnie de braves gens, dont la gentillesse, reconnue de lui, ne compenserait jamais à ses yeux ce manque essentiel : une conversation spirituelle ».
Les derniers jours passés au chevet du père, puis ceux qui ont suivi, ont fait surgir l’évidence de la fracture, une fracture personnelle qui est celle d’Annie Ernaux, qu’elle reconnait et assume avec une vraie humilité. Admirable. Mais le livre va plus loin. Bien qu’elle ne l’évoque jamais, l’histoire de l’auteur pourrait ramener le lecteur à son propre vécu, à la façon dont lui-même gère, va gérer ou a géré sa/ses fracture(s) générationnelle(s).
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