mardi 22 janvier 2013

Yves VIOLLIER - La cabane à Satan

Un livre d’un autre temps (1982), en relatif bon état, retrouvé par hasard après vingt années de pourrissement dans un grenier humide. Un livre de début de carrière, alors que l’écrivain s’attaque à ses premiers romans. De cette époque entre débuts et consécration, Yves Viollier nous a laissé trois ouvrages, Retour à Malvoisine, La cabane à Satan et La Mariennée. Retour à Malvoisine a récemment été réédité en poche sous le titre La Malvoisine. La cabane à Satan n’a pas connu cette consécration. Introuvable en librairie comme sur internet, l’ouvrage n’existe guère que par quelques médiathèques. Peut-être était-il trop proche encore d’une réalité dont les relents ne sont pas effacés.
Il s’agit d’un Don Camillo rural dégraissé de toute trace comique, une guerre des boutons mortelle dont les protagonistes ne se remettront pas. Une guerre larvée, héritée des évènements de 1793, toujours prête à ressurgir quand les hommes d’influence sont des jusqu’au-boutistes capables de toutes les escalades au nom d’un Dieu – ou de son contraire – qui n’en demandait pas tant. Et l’on pourrait mettre facilement un nom, peut-être même des visages, dans de nombreux bourgs de la Vendée profonde, ravagée dans la première moitié des années 1900 par la dualité cathos et laïcs, public face à privé, tout est objet de rivalité ou de provocation. Communes divisées par des curés Cador ou des instituteurs Nouzille qu’on suit par tradition. Dans les villages comme la Féneraie, l’amitié n’a pas ces états d’âme. À tous les niveaux, adultes comme enfants, l’on travaille main dans la main. Quand il survient, le drame ne frappe pas toujours en premier lieu les plus impliqués. Voilà comment des existences basculent.
Cette tension entre les deux camps est fort bien plantée par un Yves Viollier qui, en accumulant en un même lieu un ramassis d’actes insensés, pour une montée en escalade vertigineuse, semble tirer vers la caricature. Pourtant, bien qu’ainsi poussée à l’extrême, la réalité était là et d’un bord à l’autre, en ces temps-là, on ne se parlait pas. Aujourd’hui, les cabanes à Satan ont été détruites, les Mulotins prêcheurs de mission ont disparu, le feu semble éteint mais le moindre coup de vent ranime les flammèches et l’on défile encore pour des causes qui s’en rapprochent. L’actualité récente fourmille, mariage pour tous ou autres. Des affrontements de ce type poussent toujours à d’autres processions dans la rue, les causes sont proches et les dérives jamais très loin. Sans parler des événements qui secouent certains pays d’obédience musulmane, comme l’Égypte ou la Tunisie, avec les conséquences que l’on sait.
Voilà donc un bon ouvrage, pourtant il est voué aux oubliettes. On peut le regretter car La cabane à Satan reflète à la perfection l’état d’esprit qui a pu régner durant une époque dans les campagnes vendéennes. Et le sujet qu’il porte dépasse de loin le territoire qu’il mettait en œuvre. Et autant que d’autres ouvrages du même auteur, le livre illustrait parfaitement la Nouvelle École de Brive dont se réclame l’écrivain. Alors pourquoi cet effacement ?
On peut trouver au moins deux raisons à cela. Le style adopté par l’auteur très proche du parler local, utilisant en abondance tournures et expressions familières, « les bêtes rentrées dans les têts », « on fait racasser les bidons de lait », « ce faux air bonhomme, qu’il savait matelassé dans une gravelle de pierre », « elle avait croisé les deux bras sous les bourses de la poitrine ». Ce choix a eu pour conséquence d’ancrer l’histoire à son terroir et de renforcer, si besoin en était, la dramatique des évènements. Le cas de La Malvoisine est éclairant : pour sa réédition en poche, Yves Viollier a légèrement retouché le texte initial. Débarrassé du patois local et de quelques métaphores, le texte a perdu cette gangue de terre locale qui le rendait un peu pataud, sans pour autant perdre une once de sa puissance. Ainsi allégé, le texte gagnait une lisibilité et une dimension universelle, cela valait bien une deuxième vie, non ? Sujette à l’embonpoint,  La cabane à Satan aussi méritait l’allégement.
Le deuxième point confirme le premier. Le recul nécessaire n’a pas été suffisant pour donner à l’ouvrage la dimension du roman. Le choix de patronymes et de lieux connus, la narration de faits encore récents, donc pas oubliés, ont plombé l’ouvrage. Le roman n’a pas décollé, on est resté dans le récit avec toutes les conséquences que cela a pu entraîner. À rester trop près du feu, l’écrivain s’est brûlé les doigts. De là à craindre l’eau froide, on peut comprendre le chat Viollier échaudé. La distance, c’est le dilemme de tout écrivain.
La soupe mijotée par les écrivains aguerris sait éviter ce genre de piège. Avec un autre risque : que la prise de distance éloigne tant que le plat s’affadisse et devienne insipide.
La cabane à Satan n’avait pas ce problème. Le moins est de le reconnaître, c’est un réel atout de cet ouvrage qui permet, si le lecteur peut prendre lui-même la bonne distance, de le classer, malgré ses imperfections, parmi les bons livres de société, pas si loin que cela du Thérèse Desqueyroux du chevronné Mauriac. Dans un autre registre, bien sûr !

Classement: bibliothèque perso.


Titre : LA CABANE À SATAN
Auteur : Yves VIOLLIER
Éditeur : éditions universitaires
Format : 15X24cm
Nombre de pages : 192 pages
Publication : 1-1-1982
Prix :
ISBN : 978-2-7113-0261-1




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