Titre : WINTERREISE Auteur : Elfriede JELINEK Traduction de l’allemand (Autriche) : Sophie Andrée Herr Éditeur : Seuil Format : 14X20,5cm Parution : avril 2012 (traduction française) Prix : 17,50€ ISBN : 978.2.02.104942.8 |
Lors de la sortie, les commentaires n’étaient pas tendres pour Elfriede Jelinek. Malgré cela, le souvenir de La Pianiste, livre et film, était encore présent et l’envie de lire avait été décrétée. Six mois plus tard, disponibilité dans les rayons. Passage à l’acte avec l’espoir de n’avoir pas à le regretter.
Jelinek avait habitué le lecteur aux situations en vase clos où elle s’ingénie à tirer les ficelles, dans une langue aride jamais facile mais souvent juste. Un palier supplémentaire, voire plus, est demandé au lecteur, une sorte de divagation hermétique à ingurgiter comme une tisane amère, quelques effluves surnagent sans qu’on soit certain de ce que l’on avale. L’auteur travaille pour elle, déversant une sorte de venin à huit niveaux dont certains resteront obscurs. Les doigts accrochés à l’ouvrage pour l’empêcher de tomber des mains, l’on avance page par page sans plaisir à condition de capter, sinon on rame à glisser d’un mot à l’autre. Un texte imbuvable de qualité très inégale, où chaque mot semble pesé pour être à sa place, répété jusqu’à asséner, une divagation réfléchie et profonde, où Jelinek déverse une sorte de mal-être, une rancœur haineuse où peu trouve de choses grâce au regard de ce Don Quichotte de l’écriture, grand redresseur de l’existence. Même si le dégoût n’est pas loin, au bord de dans l’horreur l’abandon n’a pas lieu car les brisures intérieures de Jelinek touchent le lecteur dans sa propre personne, le lecteur encaisse ses défaillances, un peu plus loin il devient à son tour accusateur, sans pour autant jubiler tant on se traîne dans la boue.
De cet ouvrage, qui en vient à bout sort perplexe, animé de deux sentiments antagoniques. Impression première d’avoir assisté à une longue thérapie par l’écriture sans pour cela aboutir à la guérison à la fin du livre. Ou le mal était autre ou sous l’acide des mots, il y avait un autre message, celui d’une écriture dépouillée de toute la mauvaise graisse qui peut fausser la parole. Jelinek a suffisamment vécu, bataillé et reçu pour ne rien attendre des conventions de l’écriture. Alors elle explore, épure, un peu à l’image de Picasso pressé de produire, de dire, sans s’embarrasser de détails. On est dans la même démarche dans cette pièce à huit actes, sans didascalies, aux personnages mal définis, sujets à de multiples interprétations, genre d’hyper-écriture (par analogie à l’hypertexte), self service du texte où chacun choisira ses ingrédients pour composer sa propre partition. On est bien loin des sentiers battus de l’écrit et l’on comprendra que cela puisse déranger, même les lecteurs les plus ouverts. On est loin de la lecture plaisir mais la lecture ne doit-elle être que plaisir ? La musique contemporaine est-elle toujours agréable à l’oreille ? De sa propre planète, la musicienne Jelinek lance des satellites vers la galaxie internet pour découvrir d’autres formes de vie et ce type d’exploration est suffisamment exceptionnel pour être remarqué.
Au-delà de l’expérience que dit l’ouvrage ?
Winterreise, voyage d’hiver, est à l’origine un recueil de vingt-quatre poèmes écrits par le poète allemand Wilhelm Müller. Ceux-ci ont été mis en musique en 1827 par Schubert. Elfriede Jelinek reprend le motif de certains lieds : la neige, la vielle, le fleuve qu’elle imbrique dans son univers intime, évoquant ainsi les douleurs affectives subies, la mère destructrice, le père chez les fous, la solitude amoureuse, le temps qui passe et ne revient pas. Elle s’attaque durement aux dérives de la société, l’argent destructeur camouflé sous les robes de la fiancée, l’enfant (Natacha Kampusch) retenue et revenue à l’air libre, jalousée parce que devenue médiatique, « qui la demande ? Bien trop nombreux, ceux qui toujours la demandent. Qui donc nous demande ? Pas assez nombreux, ceux qui nous demandent ? Exact », le pays autrichien entièrement voué au ski, « nous, les humains de souche, on nous a déboisés pour nos pistes de ski. On a repoussé, et alors on nous a de nouveau déboisés ». Les mots semblent couler, bruts, en direct de la pensée. Avec le recul, le tableau est plus sophistiqué qu’il n’y parait et l’ensemble est terriblement efficace, percutant, cassant pour celui à qui il s’adresse, révélant Elfriede Jelinek comme une artiste de l’assemblage des mots pixels. Mais à trop ressasser, cela tend au bavardage. Et cela devient lassant à terme. L’on aimerait, ne serait-ce que pour respirer quelques minutes, que la tension se relâche un moment. Cela fait-il partie de l’univers du Prix Nobel ? C’est une autre affaire.
Des liens pour compléter:
- Magazine Littéraire.
- Le strass de la philosophie : 15 jan 2013 - Wintereise
Jelinek avait habitué le lecteur aux situations en vase clos où elle s’ingénie à tirer les ficelles, dans une langue aride jamais facile mais souvent juste. Un palier supplémentaire, voire plus, est demandé au lecteur, une sorte de divagation hermétique à ingurgiter comme une tisane amère, quelques effluves surnagent sans qu’on soit certain de ce que l’on avale. L’auteur travaille pour elle, déversant une sorte de venin à huit niveaux dont certains resteront obscurs. Les doigts accrochés à l’ouvrage pour l’empêcher de tomber des mains, l’on avance page par page sans plaisir à condition de capter, sinon on rame à glisser d’un mot à l’autre. Un texte imbuvable de qualité très inégale, où chaque mot semble pesé pour être à sa place, répété jusqu’à asséner, une divagation réfléchie et profonde, où Jelinek déverse une sorte de mal-être, une rancœur haineuse où peu trouve de choses grâce au regard de ce Don Quichotte de l’écriture, grand redresseur de l’existence. Même si le dégoût n’est pas loin, au bord de dans l’horreur l’abandon n’a pas lieu car les brisures intérieures de Jelinek touchent le lecteur dans sa propre personne, le lecteur encaisse ses défaillances, un peu plus loin il devient à son tour accusateur, sans pour autant jubiler tant on se traîne dans la boue.
De cet ouvrage, qui en vient à bout sort perplexe, animé de deux sentiments antagoniques. Impression première d’avoir assisté à une longue thérapie par l’écriture sans pour cela aboutir à la guérison à la fin du livre. Ou le mal était autre ou sous l’acide des mots, il y avait un autre message, celui d’une écriture dépouillée de toute la mauvaise graisse qui peut fausser la parole. Jelinek a suffisamment vécu, bataillé et reçu pour ne rien attendre des conventions de l’écriture. Alors elle explore, épure, un peu à l’image de Picasso pressé de produire, de dire, sans s’embarrasser de détails. On est dans la même démarche dans cette pièce à huit actes, sans didascalies, aux personnages mal définis, sujets à de multiples interprétations, genre d’hyper-écriture (par analogie à l’hypertexte), self service du texte où chacun choisira ses ingrédients pour composer sa propre partition. On est bien loin des sentiers battus de l’écrit et l’on comprendra que cela puisse déranger, même les lecteurs les plus ouverts. On est loin de la lecture plaisir mais la lecture ne doit-elle être que plaisir ? La musique contemporaine est-elle toujours agréable à l’oreille ? De sa propre planète, la musicienne Jelinek lance des satellites vers la galaxie internet pour découvrir d’autres formes de vie et ce type d’exploration est suffisamment exceptionnel pour être remarqué.
Au-delà de l’expérience que dit l’ouvrage ?
Winterreise, voyage d’hiver, est à l’origine un recueil de vingt-quatre poèmes écrits par le poète allemand Wilhelm Müller. Ceux-ci ont été mis en musique en 1827 par Schubert. Elfriede Jelinek reprend le motif de certains lieds : la neige, la vielle, le fleuve qu’elle imbrique dans son univers intime, évoquant ainsi les douleurs affectives subies, la mère destructrice, le père chez les fous, la solitude amoureuse, le temps qui passe et ne revient pas. Elle s’attaque durement aux dérives de la société, l’argent destructeur camouflé sous les robes de la fiancée, l’enfant (Natacha Kampusch) retenue et revenue à l’air libre, jalousée parce que devenue médiatique, « qui la demande ? Bien trop nombreux, ceux qui toujours la demandent. Qui donc nous demande ? Pas assez nombreux, ceux qui nous demandent ? Exact », le pays autrichien entièrement voué au ski, « nous, les humains de souche, on nous a déboisés pour nos pistes de ski. On a repoussé, et alors on nous a de nouveau déboisés ». Les mots semblent couler, bruts, en direct de la pensée. Avec le recul, le tableau est plus sophistiqué qu’il n’y parait et l’ensemble est terriblement efficace, percutant, cassant pour celui à qui il s’adresse, révélant Elfriede Jelinek comme une artiste de l’assemblage des mots pixels. Mais à trop ressasser, cela tend au bavardage. Et cela devient lassant à terme. L’on aimerait, ne serait-ce que pour respirer quelques minutes, que la tension se relâche un moment. Cela fait-il partie de l’univers du Prix Nobel ? C’est une autre affaire.
Des liens pour compléter:
- Magazine Littéraire.
- Le strass de la philosophie : 15 jan 2013 - Wintereise
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