Titre : FAILLES Auteur : Yanick LAHENS Genre : Récit Éditeur : Sabine Wespieser Format : 14X18,5cm Nombre de pages : 160 p Parution : octobre 2010 Prix : 15,00€ ISBN : 978-2-84805-090-4 |
« Nous
l’aimions, malgré sa façon d’être au monde qui nous prenait souvent à l’envers
de nos songes. Nous l’aimions têtue et dévoreuse, rebelle et espiègle. »
De qui Yanick Lahens parle-t-elle au passé ? D’une femme ? D’une
amie ? Perdu. D’une ville. De la ville de Port-au-Prince. Port-au-Prince
avant le 12 janvier 2010 à 16 heures 53 minutes.
À ce moment précis, la ville « a été chevauchée moins de quarante secondes par un de ces dieux dont on
dit qu’ils se repaissent de chair et de sang. Chevauchée sauvagement avant de
s’écrouler cheveux hirsutes, yeux révulsés, jambes disloquées, sexe béant,
exhibant ses entrailles de ferraille et de poussière, ses viscères et son sang.
Livrée, déshabillée, nue, Port-au-Prince n’était pourtant point obscène. Ce qui
le fut, c’est sa mise à nu forcée. Ce qui fut obscène et le demeure, c’est le
scandale de sa pauvreté. »
Qui mieux qu’une native résidant au pays pouvait parler,
avec des mots aussi bien choisis, du tremblement de terre d’Haïti. Elle livre
dans cet ouvrage, par les mots, sa vision de la catastrophe, pas comme un
journaliste qui fait trois petits tour et puis s’en va, ni comme d’autres (Dany Laferrière…) présents sur les lieux au moment du drame et qui s’en sont allés
écrire au loin, mais comme une autochtone connaissant à fond son sujet, comme actrice
de multiples façons du relèvement de son pays, ou du moins de la tentative de
relèvement, sans complaisance, où les bons ne sont pas toujours ceux qu’on
croit, tout cela dans une langue pure d’une grande pureté.
« FAILLES fut le premier titre qui vint à moi ». Failles ! Un mot à double sens, une fracture de l’écorce terrestre sous la poussée des plaques. Haïti est traversé par plusieurs de ces failles qui se suivent, s’entrecroisent, multipliant ainsi le risque de séisme. Devant les alertes lancées par certains, « rien ne bougeant en dessous de nous, la grande majorité a choisi le déni. », mais le déni existe aussi à l’échelle de la planète, « nous avons oublié que le terre vit », comme le déni existe dans le sens de faillir « face aux grands déficits politiques, économiques et sociaux de notre île ». Et les mouvements de surface sont des « failles mortifères tout aussi meurtrières que les séismes. »
« FAILLES fut le premier titre qui vint à moi ». Failles ! Un mot à double sens, une fracture de l’écorce terrestre sous la poussée des plaques. Haïti est traversé par plusieurs de ces failles qui se suivent, s’entrecroisent, multipliant ainsi le risque de séisme. Devant les alertes lancées par certains, « rien ne bougeant en dessous de nous, la grande majorité a choisi le déni. », mais le déni existe aussi à l’échelle de la planète, « nous avons oublié que le terre vit », comme le déni existe dans le sens de faillir « face aux grands déficits politiques, économiques et sociaux de notre île ». Et les mouvements de surface sont des « failles mortifères tout aussi meurtrières que les séismes. »
Derrière le titre, il sera donc question du tremblement de
terre, de cette faille entre avant et après et de ses conséquences. Et l’angle
de vue est celui d’une victime qui s’inquiète pour ses proches, dort dans sa
voiture, entre à reculons dans sa maison par peur des répliques, va à la
rencontre des autres pour dire, Pétion-ville, Canapé vert, Delmas, Haut de Turgeau,
Debussy et Pacot… Elle accueille aussi cette femme inconnue V. partie à la
recherche du corps de son conjoint « et
je pense à cette absence plus terrible que la mort. Dans la mort ordinaire, le
corps, preuve palpable, devient une pièce à conviction. Irréfutable. »
Irréfutable pour entamer le dur travail du deuil. Par le quotidien qu’elle
montre sans détours, « la maison
est pleine comme un œuf »,Yanick Lahens apporte à touches fines,
micro-événement après micro-événement, la preuve « irréfutable » que « les
Haïtiens ont été les premiers sauveteurs d’eux-mêmes, on ne l’a peut-être pas
assez dit… Cette entraide toutes catégories sociales et toutes couleurs
confondues. Une épiphanie. » Constat sévère devant l’exode des
populations « ces femmes et ces hommes
lâchés le long des routes ont un flair, un nez bien à eux. Cela fait deux
siècles qu’ils ne croient plus ni aux
gouvernements ni aux promesses des hommes politiques, ni à celles des pouvoirs
économiques ni à celles des intellectuels, ni à moi, ni à vous. » Et
le pays, malgré les camps de tentes bleues, se remet à vivre. « Trois
évènements m’ont indiqué que l’ordinaire des jours très ordinaires tissait sa
toile : la réouverture des écoles, les rencontres éliminatoires de la Coupe du monde et la veillée »,
le rite de la veillée mortuaire.
À côté du quotidien, Yanick Lahens dresse « un tableau sans complaisance »,
mettant le doigt sur les insuffisances des uns et des autres sans oublier les
intellectuels dont elle fait partie : La presse mondiale déferlant sur le
pays pour des clichés approximatifs qu’elle démonte : « à cette heure, dans les administrations
publiques, n’étaient présents que ceux qui en constituent l’épine dorsale… La
faille nous a ravi quelques-uns de nos meilleurs cadres…On préférera plutôt,
sans nuance aucune, claironner l’incompétence et la corruption absolues de
toute l’administration publique haïtienne » ; l’homo politicus faible
dans l’épreuve, « au milieu de tant
de tiraillements et de pesanteurs, il reste évidemment peu de place pour une
quelconque conviction. » et son pendant l’homo economicus qui
« préfère manipuler les ficelles
dans les coulisses de tous les pouvoirs… » ; les élites « tous secteurs confondus (politiques,
économiques, intellectuelles et celles de la diaspora) » ; les
ONG omniprésentes, « entre six
mille et huit mille, et même dix mille… du jamais vu » et qui
dérangent « cette ONG américaine
qui empoisonne désormais la vie de l’impasse ».
Peu à peu, la source tarit, « le temps s’étire, prend ses aises, retrouve ses marques ». Après
les mots « sortis comme des éclats
d’un corps », d’autres refroidis, mesurés, pour un chapitre de fin très
ciselé, une analyse d’une grande finesse qui trouve des signes d’espoir pour
l’avenir. Une chose est sûre, Yanick Lahens aime son pays et nous le fait aimer
aussi. Après cette lecture, le regard sur Haïti ne sera plus le même, il
fallait redresser les choses, c’est fait, on est convaincu.
Haïti sur les Inrocks: Le temps des mutants.
RépondreSupprimerTrois ans après le terrible séisme d'Haïti, le magazine Les inrockuptibles publie un reportage sur la reconstruction haïtienne. L'article laisse une large place à l'écrivaine Yanick Lahens et son ouvrage Failles. "rares sont les ouvrages à avoir su en tirer des conclusions aussi lucides et dégager des perspectives aussi essentielles pour l'ensemble du pays".