samedi 10 novembre 2012

Jean ROUAUD - Rencontre et lecture publique

Ouvrages utilisés :

Préhistoires (Blanches - Gallimard) - 2012
Une façon de chanter - (Gallimard) - 2012






Une rencontre curieuse. Invité du jour : le Goncourt 90 Jean Rouaud, au cœur d’une grande surface alimentaire, un jour d’affluence. Attenante à l’espace culturel de l’hyper, la salle assez vaste est relativement bien préservée des annonces micro, éclats de voix de la clientèle et bruits de pas. Dans un coin, à l’heure dite, une trentaine de chaises toutes occupées, disposées en arc de cercle sur trois rangées, font face à deux moelleux fauteuils vides et une table basse où s’empilent les ouvrages de l’invité.
Debout, un peu stressée, la jeune animatrice fait patienter le public. L’auteur est bien arrivé à la gare mais retardé par les bouchons qui encombrent en tous sens les accès à cette gigantesque zone commerciale. Une demi-heure plus tard, l’homme arrive, longiligne, le cheveu souple tombant sur le cou, veste de cuir sur un pull qui flotte et dépasse, rien dans les mains.
Le public a dépassé la moyenne d’âge, en majorité féminin, quelques jeunes sont dispersés dans l’assemblée. Au grand dam de l’animatrice, il faudra se passer du micro récalcitrant. Heureusement elle, comme l’auteur, ont la voix forte et sont bien audibles.
Et l’on rentre d’emblée dans le vif du sujet. Il ne sera pas question des « Champs d’honneur », le Goncourt que tout le monde connaît. D’abord, d’un modeste livre de poche, Préhistoires, en prise avec l’actualité immédiate puisque l’invité vient de visiter, cette dernière semaine, la grotte Chauvet, privilège rare dont il est bien sûr ravi. Le Paléo-Circus – parle-t-on du même – est un livre de commande, l’éditeur souhaitant associer dans un même ouvrage un écrivain et un peintre. Vermeer étant déjà retenu, Jean Rouaud s’est intéressé à l’art pariétal, aux œuvres primitives qui tapissent les parois des grottes. En un long développement, l’homme se fait prolixe, si l’on excepte de rares et courtes pauses, la parole est facile et le langage structuré, comme un argumentaire où l’on va au bout du sujet. Et c’est passionnant. Passionnant d’apprendre que les œuvres des cavernes, loin d’être primitives, étaient au contraire très abouties et qu’on avait à l’époque de vrais artistes, très observateurs, soucieux du détail, en phase totale avec les connaissances scientifiques actuelles. Souci de l’écrivain de faire la démarche complémentaire du scientifique en se projetant 25000 ans en arrière, climat à peu près sibérien, un paysage de toundra, de grands animaux, ours, aurochs, mammouths…
Et cette appréhension, au moment de la parution, du sort réservé au littéraire par les spécialistes de la préhistoire. Crainte non fondée puisque l’ouvrage reçoit un bon accueil de leur part et lui permet d’avoir le privilège rare de visiter des cavités fermées au public comme la grotte Chauvet.
Puis l’animatrice revient à l’actualité immédiate avec la publication en mars du dernier ouvrage, Une façon de chanter, un livre extrêmement « apaisant ». « Comment le lecteur qui ne vous connaît pas doit-il s’attaquer à la lecture de cette œuvre ? Comment suivre le fil narratif qui s’égare ? » L’auteur peut-il donner les clés de lecture d’un livre dont l’écriture rappelle en quelque sorte celle de Marcel Proust ? (un Marcel Proust qu’il ne renie pas, bien au contraire).
D’abord un préalable, fiction ou récit ? Si l’écrivain a écrit quelques fictions, il penche pour le second. Son œuvre a été marquée par la mort de son père à quarante-et-un ans, tout d’abord, puis par celle de ses grands-oncles inscrite sur le monument au mort de sa commune. « J’ai découvert, il y a quelques semaines, que l’idée de la mort du roman me renvoyait au roman de la mort ». D’où cette idée d’écrire sur la famille, l’histoire personnelle, son inscription dans une région, une sociologie, en explorant ce siècle, ses guerres et son évolution.
Une façon de chanter, au titre inspiré par une lettre de Rimbaud à sa mère, est de cette veine. Deuxième volet après Comment gagner sa vie honnêtement de la trilogie La vie poétique, l’ouvrage s’attache à démontrer par l’exemple, le sien, la profonde évolution des mœurs causée par l’avènement du rock dans les années soixante-dix, l’importance de la musique dans la libération des corps et des mœurs. Brillante évocation tout aussi nourrie d’exemples, de faits de vie dont le village natal des bords de Loire fournit une bonne partie des matériaux. De la lecture, nous n’aurons point les clés en tant que telles, mais de l’explication donnée sur le pourquoi et le comment de l’œuvre, ce qui la motive, l’écriture intérieure, les digressions que peut se permettre le romancier, on peut s’en faire une idée.
Quelques questions sur le rapport à Proust, les ateliers d’écriture et l’activité littéraire durant le retour aux sources à Campbon. Pour terminer, l’écrivain consent à un moment de lecture où il dissèque de manière « délicieuse » une phase vidéo d’un concert des Kinks. Puis la séance de dédicaces et l’inévitable pot qui l’accompagne. De la parole à l’acte de lecture, il n’y a qu’un geste à faire, ouvrir le porte-monnaie – ce qui est fait de gaieté de cœur – avant de s’éloigner avec la nouveauté en poche. Rendez-vous pour une prochaine « note de lecture ».

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