Les Trois poètes libertaires
Jacques PRÉVERT - Dans ma maison - Le Chat et l’oiseau - Familiale - Complainte du cheval - Pater Noster - Adrienne - La Cène - etc. Boris VIAN- Qu’y a-t-il - Ils cassent le monde - Les mains pleines - Je voudrais pas crever - Le déserteur - Si les poètes étaient moins bêtes etc. Robert DESNOS - Déshabille-toi - Aujourd’hui - Les quatre sans cou - J’ai tant rêvé de toi - Couplet de la rue Saint-Martin, etc. |
Le rideau s’ouvre sur un trio. À droite, de trois quarts, Jean-Louis Trintignant, assis dans un fauteuil bas. À son côté, une petite table et un verre d’eau. Les musiciens, violoncelle au centre, accordéon à gauche, complètent le triangle. Un bref moment de réaction, de surprise peut-être, et la salle bien remplie applaudit, 600 spectateurs environ. L’acteur jette quelques mots en guise d’accueil, « quand l’acteur et les musiciens sont mauvais, l’applaudissement les rend pires », rires dans la salle. Sans autre commentaire, l’artiste annonce « Trois poètes libertaires, Jacques Prévert, Boris Vian, Robert Desnos » et enchaîne aussitôt « Dans ma maison vous viendrez / D’ailleurs ce n’est pas ma maison… »
L’acteur joue sa partition assis, sans notes, peut-être quelques antisèches cachées, plus loin un écran qu’il néglige, c’est à son public qu’il s’adresse. Le jeu s’articule autour du tronc, un peu des mains et surtout du visage, les autres parties du corps gardent l’immobilité. C’est une part de l’artiste qui est offerte au public. En faut-il plus ? Les mots juste habillés d’intonations, de silences et d’expressions de visage suffisent pour dire le poème. En réalité, Jean-Louis Trintignant donne tout ce que peut donner un vieux corps de quatre-vingt-un ans lorsque les vieilles jambes sont incertaines et peu assurées. Le timbre de voix n’a rien perdu de cet étrange envoûtement qui le caractérise et c’est magique. La sobriété de mise est au service du seul texte magnifié par la parole et le talent du récitant. Et les musiciens sont au diapason en se mettant au service du poème par une immobilité parfaite, le regard fixe tourné vers l’acteur. On les oublie jusqu’à ce qu’ils sortent de leur coquille pour une mélodie lente, un peu lancinante, propre à évacuer la tension chez l’auditeur, à faire transition et rendre disponible l’esprit pour une nouvelle émotion.
Bien souvent, mais ce n’est pas systématique, l’acteur décline les textes sans nom, les enchaîne même sans respirer, mêlant ainsi sans distinction les mots des trois poètes libertaires à l’honneur. Tout cela crée un côté surréaliste, fantastique, un peu berceuse qui emporte parfois l’auditeur pour quelques secondes avant les esprits reprennent le dessus pour n’en perdre plus une miette. Quand après vingt neuf textes déclinés sans interruption, Jean-Louis Trintignant se lève avec difficulté et s’avance sur le devant de scène, pris en main par ses musiciens, la salle se lève et applaudit longuement. Mais lui coupe au court, « attendez, on en a un autre » et retourne s’asseoir. Pour un dernier cadeau. L’ovation dure, maintient l’artiste debout jusqu’au bout, malgré une probable souffrance, en vrai professionnel respectueux du public qui l’acclame. Une soirée bonheur.
Au-delà de la performance qu’il faut saluer comme elle se doit (le dira-t-on assez ?), l’on peut s’interroger sur le sens à donner à cette prestation. Pour les hommes de la trempe de Jean-Louis Trintignant, lorsque la scène a imprégné à ce point votre vie, le métier des planches n’est pas une profession mais une vocation et tant qu’on a encore quelques forces, on continue même si ça fait mal jusqu’à vous malmener dans votre chair et même lorsqu’on n’a plus rien à démontrer. La vie vous a fait comédien, la tombe vous emportera tel. C’est comme cela et cela se suffit à lui-même.
Mais pour démontrer quoi ? Quel intérêt à se mettre ainsi en scène ? Justement parlons-en. Quel intérêt d’aller sortir du placard de l’oubli trois poètes, libertaires qui plus est, dans un monde d’aujourd’hui accroché à la matérialité des choses et bien peu préoccupé de poésie ?
Qui l’aurait fait si lui ne l’avait pas fait ? Le souffle poétique que d’aucuns pense moribond a encore et même beaucoup à dire. « Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux. » disait René Char, quelle erreur de les enterrer quand ils peuvent former la matière première de la vie. En naviguant ainsi à contre-courant, Jean-Louis Trintignant allume un phare. Une salle pleine, le silence recueilli pendant la représentation et l’ovation finale suffisent à dire que le phare n’éclaire pas que le désert. Voir aussi les lycéens venus nombreux (en service commandé peut-être) pour l’écouter est réjouissant. Mais entendre une jeune fille confier à ses copines, la main sur le cœur, de son émotion à l’écoute d’un texte, me fait dire à l’artiste : Mission accomplie, monsieur Jean-Louis, revenez-nous vite ! Et longtemps !
Bien souvent, mais ce n’est pas systématique, l’acteur décline les textes sans nom, les enchaîne même sans respirer, mêlant ainsi sans distinction les mots des trois poètes libertaires à l’honneur. Tout cela crée un côté surréaliste, fantastique, un peu berceuse qui emporte parfois l’auditeur pour quelques secondes avant les esprits reprennent le dessus pour n’en perdre plus une miette. Quand après vingt neuf textes déclinés sans interruption, Jean-Louis Trintignant se lève avec difficulté et s’avance sur le devant de scène, pris en main par ses musiciens, la salle se lève et applaudit longuement. Mais lui coupe au court, « attendez, on en a un autre » et retourne s’asseoir. Pour un dernier cadeau. L’ovation dure, maintient l’artiste debout jusqu’au bout, malgré une probable souffrance, en vrai professionnel respectueux du public qui l’acclame. Une soirée bonheur.
Au-delà de la performance qu’il faut saluer comme elle se doit (le dira-t-on assez ?), l’on peut s’interroger sur le sens à donner à cette prestation. Pour les hommes de la trempe de Jean-Louis Trintignant, lorsque la scène a imprégné à ce point votre vie, le métier des planches n’est pas une profession mais une vocation et tant qu’on a encore quelques forces, on continue même si ça fait mal jusqu’à vous malmener dans votre chair et même lorsqu’on n’a plus rien à démontrer. La vie vous a fait comédien, la tombe vous emportera tel. C’est comme cela et cela se suffit à lui-même.
Mais pour démontrer quoi ? Quel intérêt à se mettre ainsi en scène ? Justement parlons-en. Quel intérêt d’aller sortir du placard de l’oubli trois poètes, libertaires qui plus est, dans un monde d’aujourd’hui accroché à la matérialité des choses et bien peu préoccupé de poésie ?
Qui l’aurait fait si lui ne l’avait pas fait ? Le souffle poétique que d’aucuns pense moribond a encore et même beaucoup à dire. « Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux. » disait René Char, quelle erreur de les enterrer quand ils peuvent former la matière première de la vie. En naviguant ainsi à contre-courant, Jean-Louis Trintignant allume un phare. Une salle pleine, le silence recueilli pendant la représentation et l’ovation finale suffisent à dire que le phare n’éclaire pas que le désert. Voir aussi les lycéens venus nombreux (en service commandé peut-être) pour l’écouter est réjouissant. Mais entendre une jeune fille confier à ses copines, la main sur le cœur, de son émotion à l’écoute d’un texte, me fait dire à l’artiste : Mission accomplie, monsieur Jean-Louis, revenez-nous vite ! Et longtemps !