Dans son Éloge des voyages insensés*, Vassili Golovanov nous entraînait vers les argiles désolées de l’île de Kolgouev, cent ans après l’explorateur Trevor-Battye, en un voyage au bout de l’extrême dans l’espace et le temps. Livre retournant chaudement couvé dans la bibliothèque personnelle. Que pouvait-il nous offrir de plus ? Réponse : de grands espaces et un labyrinthe aux confins d’existences capturées au plus près de la source.
Dans cette série de textes d’Espaces et labyrinthes comme autant d’aventures, peut-on parler de nouvelles quand il s’agit d’une quête des origines, point commun de ces fragments, tous enrichis d’une profonde recherche documentaire. L’explorateur ne part pas au hasard vers les limites de la vie sans avoir préparé sa besace à capter la substance qu’il tire habilement de ces lieux et qu’il nous restitue richement habillée de sa belle écriture. Dépaysement assuré pour le sédentaire lecteur, émotion empreinte d’admiration pour cette remise en selle de lieux perdus, oubliés, mais sources d’existence.
Ainsi commençons-nous par remonter jusqu’à la source de la Volga où Golovanov entraîne sa propre fille, elle-même en quête d’un fleuve dont sa grand-mère lui a beaucoup parlé. Prodigieuse récompense pour l’écrivain lorsque sa fille écrit sur le livre d’or « que jamais de sa vie elle n’avait vu la Volga aussi belle ». Apothéose pour l’écrivain aventurier « Lorsqu’elle me l’a dit, j’ai compris que j’étais absous pour les siècles des siècles ».
Ce premier texte intitulé La source est une mise en bouche qui nous conduit sans transition au delta du même fleuve, là où la rivière donne naissance à la Gaspienne, puis à la conquête de la montagne Bogdo, « montagne sacrée des Kalmouks », colline de 149 mètres au dessus du niveau de la mer, dont l’ « élévation au-dessus de la steppe sans fin est si inattendue et si lourde de sens … que ni le nom de montagne donné à cette colline, ni la sainteté qui lui est attribuée ne semblent exagérés ».
Au quatrième texte, une autre dimension s’ouvre au lecteur. Nous voilà invités à suivre l’écrivain dans une singulière propriété en état de délabrement avancé, le parc de Priamoukhino où un petit groupe de jeunes anarchistes tente de restaurer le pavillon du parc, « nous allons inventer un musée. Même si un jour, le domaine est complètement reconstruit, il ne pourra être classé que grâce à cette ruine : l’Unesco ne reconnaît que les vestiges ». Nous sommes dans le berceau de la famille Bakounine où naquit et grandit un certain Mickaïl du même nom, fondateur de l’anarchisme russe. Dans une étude fouillée, Vassili Golovanov mêle habilement histoire, géographie, philosophie et découverte dans un texte savoureux qui nous entraîne vers un domaine d’exploration inhabituel. Et l’on comprend sous la plume de l’explorateur écrivain toute la charge portée par le lieu, double berceau, de l’anarchiste et de l’anarchisme.
Les deux derniers textes sont de la même facture. Bien qu’on soit un peu perdus dans la géographie de ces grands espaces, dans les patronymes russes toujours très compliqués, la communication via le texte s’établit entre l’auteur et le lecteur dans le Journal de Touva, une vision de l’Asie comme celle d’un berceau où l’on suit volontiers l’explorateur à la recherche des sources du chamanisme. Il en est de même de cette ville de Tchevengour, chère à Platonov, explorée sur le terrain livre de Platonov à la main, à la recherche de ces « gueux », des laissés pour compte en quête de bien-être.
Que cherche donc l’explorateur Golovanov, loin des bruissements de la vie actuelle, dans ces lieux perdus, oubliés, insignifiants à la limite de l’inexistence ? Ce livre ressemble à une quête passant par des chemins détournés, dans les traces du chamanisme, des anarchistes ou des gueux de Platonov, une quête aux confins de l’existence. Mais l’écrivain ne se livre pas, il se contente de décrire, montrer, mettre en avant, expliquer, suggérer, en laissant au lecteur son libre-arbitre. Mais derrière tout cela, à travers les choix de l’auteur et la masse de travail fourni, il n’y a qu’un pas à franchir pour imagine l’homme Golovanov à la recherche du sens de sa propre existence avec en filigrane un rejet de la société actuelle. Simple hypothèse, pourrait-on objecter sauf qu’à quelques pages de la fin, l’écrivain s’engage et nous livre son sentiment en guise de conclusion : « Platonov paraphrase Spengler – " l’avenir appartient à la civilisation, non à la culture : l’avenir sera conquis par l’homme spirituellement mort, intellectuellement pessimiste " – mais ne peut se résigner à ce constat. Moi non plus bien qu’on soit déjà entouré d’une foule d’individus spirituellement morts en effet, déjà incapables de compassion, d’empathie, de gaité normale, de largesse ou de générosité. C’est pourquoi les héros du roman**, en dépit de tout, me sont proches et chers. Et plus encore les gens croisés sur notre chemin, qui nous ont apporté la confirmation irréfutable de l’authenticité non fictive des Tchevengouriens ». Terrible constat. Maigre consolation, il nous reste encore un Golovanov.
* Il n’est pas certain que ce voyageur de l’extrême soit très connu chez nous. Ma rencontre avec Vassili Golovanov tient du hasard alors que je déambulais dans les allées du Festival des étonnants voyageurs de Saint-Malo en 2010. Au stand des éditions Verdier, je tombe en arrêt devant un curieux ouvrage intitulé Éloge des voyages insensés aussitôt pris en main et feuilleté. Coup de cœur immédiat. De l’autre côté de la table, un homme de petite taille, presque timide, d’allure aussi insignifiante que les paysages qu’il décrit. Comme quoi, la taille, pas plus que la silhouette, ni le premier abord, ne font l’aventurier. Nous avons échangé quelques mots pendant la dédicace. Autant que moi pour engager la conversation, lui-même semblait emprunté pour me décrire son pavé de 500 pages. Il concluait par ces simples mots : « c’est difficile à exprimer, il faut lire pour comprendre ». La lecture fut une aventure, pour ne pas dire un choc. Inutile de préciser si la sortie de ce nouvel opus était attendue.
** Tchevengour d’Andreï Platonov
Dans cette série de textes d’Espaces et labyrinthes comme autant d’aventures, peut-on parler de nouvelles quand il s’agit d’une quête des origines, point commun de ces fragments, tous enrichis d’une profonde recherche documentaire. L’explorateur ne part pas au hasard vers les limites de la vie sans avoir préparé sa besace à capter la substance qu’il tire habilement de ces lieux et qu’il nous restitue richement habillée de sa belle écriture. Dépaysement assuré pour le sédentaire lecteur, émotion empreinte d’admiration pour cette remise en selle de lieux perdus, oubliés, mais sources d’existence.
Ainsi commençons-nous par remonter jusqu’à la source de la Volga où Golovanov entraîne sa propre fille, elle-même en quête d’un fleuve dont sa grand-mère lui a beaucoup parlé. Prodigieuse récompense pour l’écrivain lorsque sa fille écrit sur le livre d’or « que jamais de sa vie elle n’avait vu la Volga aussi belle ». Apothéose pour l’écrivain aventurier « Lorsqu’elle me l’a dit, j’ai compris que j’étais absous pour les siècles des siècles ».
Ce premier texte intitulé La source est une mise en bouche qui nous conduit sans transition au delta du même fleuve, là où la rivière donne naissance à la Gaspienne, puis à la conquête de la montagne Bogdo, « montagne sacrée des Kalmouks », colline de 149 mètres au dessus du niveau de la mer, dont l’ « élévation au-dessus de la steppe sans fin est si inattendue et si lourde de sens … que ni le nom de montagne donné à cette colline, ni la sainteté qui lui est attribuée ne semblent exagérés ».
Au quatrième texte, une autre dimension s’ouvre au lecteur. Nous voilà invités à suivre l’écrivain dans une singulière propriété en état de délabrement avancé, le parc de Priamoukhino où un petit groupe de jeunes anarchistes tente de restaurer le pavillon du parc, « nous allons inventer un musée. Même si un jour, le domaine est complètement reconstruit, il ne pourra être classé que grâce à cette ruine : l’Unesco ne reconnaît que les vestiges ». Nous sommes dans le berceau de la famille Bakounine où naquit et grandit un certain Mickaïl du même nom, fondateur de l’anarchisme russe. Dans une étude fouillée, Vassili Golovanov mêle habilement histoire, géographie, philosophie et découverte dans un texte savoureux qui nous entraîne vers un domaine d’exploration inhabituel. Et l’on comprend sous la plume de l’explorateur écrivain toute la charge portée par le lieu, double berceau, de l’anarchiste et de l’anarchisme.
Les deux derniers textes sont de la même facture. Bien qu’on soit un peu perdus dans la géographie de ces grands espaces, dans les patronymes russes toujours très compliqués, la communication via le texte s’établit entre l’auteur et le lecteur dans le Journal de Touva, une vision de l’Asie comme celle d’un berceau où l’on suit volontiers l’explorateur à la recherche des sources du chamanisme. Il en est de même de cette ville de Tchevengour, chère à Platonov, explorée sur le terrain livre de Platonov à la main, à la recherche de ces « gueux », des laissés pour compte en quête de bien-être.
Que cherche donc l’explorateur Golovanov, loin des bruissements de la vie actuelle, dans ces lieux perdus, oubliés, insignifiants à la limite de l’inexistence ? Ce livre ressemble à une quête passant par des chemins détournés, dans les traces du chamanisme, des anarchistes ou des gueux de Platonov, une quête aux confins de l’existence. Mais l’écrivain ne se livre pas, il se contente de décrire, montrer, mettre en avant, expliquer, suggérer, en laissant au lecteur son libre-arbitre. Mais derrière tout cela, à travers les choix de l’auteur et la masse de travail fourni, il n’y a qu’un pas à franchir pour imagine l’homme Golovanov à la recherche du sens de sa propre existence avec en filigrane un rejet de la société actuelle. Simple hypothèse, pourrait-on objecter sauf qu’à quelques pages de la fin, l’écrivain s’engage et nous livre son sentiment en guise de conclusion : « Platonov paraphrase Spengler – " l’avenir appartient à la civilisation, non à la culture : l’avenir sera conquis par l’homme spirituellement mort, intellectuellement pessimiste " – mais ne peut se résigner à ce constat. Moi non plus bien qu’on soit déjà entouré d’une foule d’individus spirituellement morts en effet, déjà incapables de compassion, d’empathie, de gaité normale, de largesse ou de générosité. C’est pourquoi les héros du roman**, en dépit de tout, me sont proches et chers. Et plus encore les gens croisés sur notre chemin, qui nous ont apporté la confirmation irréfutable de l’authenticité non fictive des Tchevengouriens ». Terrible constat. Maigre consolation, il nous reste encore un Golovanov.
* Il n’est pas certain que ce voyageur de l’extrême soit très connu chez nous. Ma rencontre avec Vassili Golovanov tient du hasard alors que je déambulais dans les allées du Festival des étonnants voyageurs de Saint-Malo en 2010. Au stand des éditions Verdier, je tombe en arrêt devant un curieux ouvrage intitulé Éloge des voyages insensés aussitôt pris en main et feuilleté. Coup de cœur immédiat. De l’autre côté de la table, un homme de petite taille, presque timide, d’allure aussi insignifiante que les paysages qu’il décrit. Comme quoi, la taille, pas plus que la silhouette, ni le premier abord, ne font l’aventurier. Nous avons échangé quelques mots pendant la dédicace. Autant que moi pour engager la conversation, lui-même semblait emprunté pour me décrire son pavé de 500 pages. Il concluait par ces simples mots : « c’est difficile à exprimer, il faut lire pour comprendre ». La lecture fut une aventure, pour ne pas dire un choc. Inutile de préciser si la sortie de ce nouvel opus était attendue.
** Tchevengour d’Andreï Platonov
Titre : ESPACE ET LABYRINTHES Auteur : Vassili GOLOVANOV Traduction du Russe : Hélène CHÂTELAIN Éditeur : Verdier, collection « Slovo » Publication française : février 2012 Nombre de pages : 248 pages Format : 14X22cm Prix : 18,80€ ISBN : 978-2-86432-662-5 |
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