La lauréate du Prix Fémina 2013 était annoncée de longue date. Devant l’affluence prévisible, l’organisation a ajouté une centaine de chaises et des coussins au sol pour les plus lestes. L’entrée se fait dans la pénombre. Seules sont éclairées dans un coin deux chaises et une petite table portant deux micros. Devant celui de gauche une pile de livres, devant l’autre un seul. Impassible, le regard un peu perdu, l’animateur debout observe l’assistance, puis il s’assoit devant la pile et annonce son invitée. Celle-ci surgit de l’obscurité, diaphane car sombre sur sombre, avant de prendre corps sous la lumière et susurrer un bonsoir inaudible.
Dans son préambule flou, l’animateur présente d’une parole hésitante l’écrivain avant d’entrer dans des considérations confuses sur l’œuvre, puis de s’arrêter net. Léonora Miano s’inquiète : « Il faut répondre ? » Mais non, ce n’était pas une question. Place à la lecture qui portera sur La saison de l’ombre, le dernier ouvrage publié.
L’assemblée retient son souffle. L’invitée saisit le livre, l’ouvre au premier signet et attend, tête baissée, que les derniers retardataires en train de se poser « se calment ». Froid dans l’assistance, le public est au pas. Enfin elle entame les premières phrases, d’une lecture lente, timbre de flute de pan aux sonorités graves, une parole venue du fond. Sous la lumière plongeante, les traits du visage se font indistincts. Quel œil cache-t-elle derrière les bords épais de ses lunettes ? Un doute ! Lit-elle vraiment ou dit-elle comme si le texte était en elle ? Effet de lumière probablement. Si ce n’est un toussotement isolé, aucun bruit dans la salle, l’assistance se tient à carreaux. Fin du premier extrait.
En un geste ralenti à l’extrême, la lectrice saisit le signet suivant entre le pouce et l’index et fait pivoter les pages. Tête immobile, elle concentre son regard sur la nouvelle page. Les mouches s’abstiennent de voler. Chaque geste est mesuré, y aurait-il dans le texte un enfant qu’il ne faudrait pas éveiller, un être si fragile pour que le livre soit manipulé avec tant de précaution. La lecture reprend.
Un peu plus tard, fin d’une autre séquence. La lectrice retourne le livre ouvert, le pose avec délicatesse sur la table, saisit avec lenteur la petite bouteille d’eau, dévisse le bouchon, verse une rasade dans le grand verre mis à sa disposition, revisse le bouchon, saisit le verre pour avaler une gorgée, le repose, puis retourne l’ouvrage.
Voilà qu’au milieu d’une phrase un participant est pris d’une quinte de toux. Léonora Miano s’arrête, lève les yeux sous l’agression, puis reprend lorsque la perturbation cesse. Dans l’assistance commence l’épreuve, la crainte d’un picotement de gorge ou le réveil d’une vieille allergie qu’il faudrait évacuer bruyamment. Et cela nuit à l’écoute et fait perdre le fil.
La lecture s’allonge, va au-delà de la moyenne, insensible au temps qui passe. Le point final surprend à la naissance d’une phase d’assoupissement. La séance a dépassé le cap de l’heure. Applaudissements.
Retour de l’animateur. Questions ? Pas de question ! Quel téméraire oserait se mettre en avant pour dégeler l’état de tétanisation causé par la lecture. L’animateur n’est pas un perdreau de l’année, il avait prévu le coup et lance une question pour amorcer. Il s’interroge sur cette phrase de la quatrième de couverture : « Nous sommes en Afrique subsaharienne, quelque part à l’intérieur des terres ». « Subsaharienne », pourquoi ce mot ? « Quelque part » pourquoi ce choix ? Et l’on découvre une autre Léonora, celle qu’on avait déjà appréciée à la radio, avant le prix. La voix se fait plus forte, le débit plus rapide, la parole facile, la langue d’une grande pureté et la passion retenue vient à la surface. La militante exprime sa retenue devant l’Afrique « noire », un morceau de continent découpé et dénommé par la colonisation, mais porté par une certaine unité. Du Sahara à l’Afrique du sud, l’origine et le vécu présentent des points communs et font lien. Le « quelque part » de l’ouvrage y trouve partout sa place. Les questions arrivent désormais en un compte-gouttes régulier, ce qui permet à l’invitée de préciser le but de l’ouvrage « c’était à l’Afrique de raconter l’histoire de ce qui s’est passé dans son intimité » et c’est bien cela qui transparait, au fil de chaque évocation, remettre au net le curseur, reprendre en main son identité qui ne sera jamais mieux portée que par soi-même.
Par son œuvre comme par son discours, Léonora Miano fait partie de femmes puissantes, à l’image de Marie N’Diaye, Fatou Diome, Schoslastique Mukasonga, ou Yanick Lahens en Haïti. Elles ont entrepris, par le biais de la culture et de l’écriture, un immense chantier, celui de porter haut et fort le continent africain en même temps que ceux qui y vivent. En cela, elles esquissent ce que sera l’Afrique de demain : majeure et incontournable. Et si la langue française peut les soutenir, tant mieux et merci !
Dans son préambule flou, l’animateur présente d’une parole hésitante l’écrivain avant d’entrer dans des considérations confuses sur l’œuvre, puis de s’arrêter net. Léonora Miano s’inquiète : « Il faut répondre ? » Mais non, ce n’était pas une question. Place à la lecture qui portera sur La saison de l’ombre, le dernier ouvrage publié.
L’assemblée retient son souffle. L’invitée saisit le livre, l’ouvre au premier signet et attend, tête baissée, que les derniers retardataires en train de se poser « se calment ». Froid dans l’assistance, le public est au pas. Enfin elle entame les premières phrases, d’une lecture lente, timbre de flute de pan aux sonorités graves, une parole venue du fond. Sous la lumière plongeante, les traits du visage se font indistincts. Quel œil cache-t-elle derrière les bords épais de ses lunettes ? Un doute ! Lit-elle vraiment ou dit-elle comme si le texte était en elle ? Effet de lumière probablement. Si ce n’est un toussotement isolé, aucun bruit dans la salle, l’assistance se tient à carreaux. Fin du premier extrait.
En un geste ralenti à l’extrême, la lectrice saisit le signet suivant entre le pouce et l’index et fait pivoter les pages. Tête immobile, elle concentre son regard sur la nouvelle page. Les mouches s’abstiennent de voler. Chaque geste est mesuré, y aurait-il dans le texte un enfant qu’il ne faudrait pas éveiller, un être si fragile pour que le livre soit manipulé avec tant de précaution. La lecture reprend.
Un peu plus tard, fin d’une autre séquence. La lectrice retourne le livre ouvert, le pose avec délicatesse sur la table, saisit avec lenteur la petite bouteille d’eau, dévisse le bouchon, verse une rasade dans le grand verre mis à sa disposition, revisse le bouchon, saisit le verre pour avaler une gorgée, le repose, puis retourne l’ouvrage.
Voilà qu’au milieu d’une phrase un participant est pris d’une quinte de toux. Léonora Miano s’arrête, lève les yeux sous l’agression, puis reprend lorsque la perturbation cesse. Dans l’assistance commence l’épreuve, la crainte d’un picotement de gorge ou le réveil d’une vieille allergie qu’il faudrait évacuer bruyamment. Et cela nuit à l’écoute et fait perdre le fil.
La lecture s’allonge, va au-delà de la moyenne, insensible au temps qui passe. Le point final surprend à la naissance d’une phase d’assoupissement. La séance a dépassé le cap de l’heure. Applaudissements.
Retour de l’animateur. Questions ? Pas de question ! Quel téméraire oserait se mettre en avant pour dégeler l’état de tétanisation causé par la lecture. L’animateur n’est pas un perdreau de l’année, il avait prévu le coup et lance une question pour amorcer. Il s’interroge sur cette phrase de la quatrième de couverture : « Nous sommes en Afrique subsaharienne, quelque part à l’intérieur des terres ». « Subsaharienne », pourquoi ce mot ? « Quelque part » pourquoi ce choix ? Et l’on découvre une autre Léonora, celle qu’on avait déjà appréciée à la radio, avant le prix. La voix se fait plus forte, le débit plus rapide, la parole facile, la langue d’une grande pureté et la passion retenue vient à la surface. La militante exprime sa retenue devant l’Afrique « noire », un morceau de continent découpé et dénommé par la colonisation, mais porté par une certaine unité. Du Sahara à l’Afrique du sud, l’origine et le vécu présentent des points communs et font lien. Le « quelque part » de l’ouvrage y trouve partout sa place. Les questions arrivent désormais en un compte-gouttes régulier, ce qui permet à l’invitée de préciser le but de l’ouvrage « c’était à l’Afrique de raconter l’histoire de ce qui s’est passé dans son intimité » et c’est bien cela qui transparait, au fil de chaque évocation, remettre au net le curseur, reprendre en main son identité qui ne sera jamais mieux portée que par soi-même.
Par son œuvre comme par son discours, Léonora Miano fait partie de femmes puissantes, à l’image de Marie N’Diaye, Fatou Diome, Schoslastique Mukasonga, ou Yanick Lahens en Haïti. Elles ont entrepris, par le biais de la culture et de l’écriture, un immense chantier, celui de porter haut et fort le continent africain en même temps que ceux qui y vivent. En cela, elles esquissent ce que sera l’Afrique de demain : majeure et incontournable. Et si la langue française peut les soutenir, tant mieux et merci !
Titre support : LA SAISON DE L’OMBRE – Prix Fémina Auteur : Léonora MIANO Éditeur : Grasset Publication : 28 août 2013 Format : 14X20,5 cm Nombre de pages : 235 Prix : 17,00€ ISBN : 978-2-246-80113-9 |